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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/23

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gence, et elle m’a toujours indigné de la part des sots. Si j’eusse alors été plus instruit, et que j’eusse connu les moyens d’aller en Amérique, j’y volais : non pour y chercher la fortune, mais pour y devenir sauvage. C’était le seul genre de vie qui me plût ; on a forcé la nature en moi pour me civiliser. Qu’on me dise tant qu’on voudra que l’homme est fait pour la société, je soutiens que ce n’est pas une vérité générale.

Enfin Boujat nous quitta ; mon père l’en pressait depuis longtemps, de peur que quelque malade n’eût besoin de son secours. Ce jeune homme, de la plus belle espérance, est mort, marié, à l’âge de vingt-six ans, d’une chute de cheval… Je perdis un ami ardent. Oh ! s’il eût vécu, j’aurais embrassé une autre carrière, et peut-être l’Europe me compterait aujourd’hui parmi ses grands naturalistes ! … Nous ne fîmes que quatre lieues après que Boujat nous eût quittés, et nous nous arrêtâmes à Villejuif. Là, nous soupâmes assez bien, pour des voyageurs très sobres, chez de bonnes gens qui vendaient leur vin. On payait ici, et je me famiharisai même beaucoup avec une jeune fille, aînée de la maison ; nous jouâmes ensemble, tandis que mon père causait avec ses hôtes. Ils prirent une grande estime pour lui. Le lendemain, en partant, mon père demanda notre compte. La jeune fille, d’environ treize ans, répondit que ses parents lui avaient dit de recevoir sept sous. Mon père lui fit observer qu’elle se trompait sans doute. Elle montra une carte, écrite de la