Page:Revilliod - Portraits et croquis, tome 2, 1883.pdf/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
UNE FEMME POÈTE

que leur dernière espérance s’évanouirent fatalement ! L’ile venait d’être bouleversée par la révolte des noirs, les plantations étaient dévastées, les colons ruinés avaient été obligés de se soustraire par la fuite aux traitements les plus cruels. Mme Desbordes ne résista pas à un coup pareil : se voir à quinze cents lieues de son pays et de sa famille, sans aucun appui, sans ressources, sur un sol frémissant ; obligée de tout craindre pour elle, surtout pour sa fille chérie ! L’épreuve était au-dessus de ses forces ; minée par le chagrin, attaquée par la fièvre jaune, elle succomba bientôt.

« Ma mère, écrit Marceline à une amie, imprudente et courageuse, se laissa envahir par l’espoir de rétablir sa maison, en allant en Amérique trouver une parente qui était redevenue riche ; de ses quatre enfants qui tremblaient de ce voyage, elle ne prit que moi ; je l’avais bien voulu, mais je n’eus plus de gaîté après ce sacrifice…

« J’adorais mon père comme le bon Dieu. Les rues, les villes, les ports de mer, où il n’était pas, me causaient de l’épouvante, et je me serrai contre les vêtements de ma mère comme dans mon seul asile.

« Arrivée en Amérique, ma mère trouva ma cousine veuve, chassée par les nègres de son habitation, la colonie révoltée, la fièvre jaune dans toute son horreur. Elle ne porta pas ce coup. Son réveil, ce fut de mourir à 41 ans. Moi, j’expirais auprès d’elle. On m’emmena en deuil hors de cette île dépeuplée à demi par la mort, et de vaisseau en vaisseau je fus rapportée au milieu de ma famille désolée et devenue tout à fait pauvre. »

La jeune fille, dit Sainte-Beuve, fut recueillie par la femme d’un armateur de Nantes, dont le nom s’est