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VOYAGE

votre ami ; il sera des nôtres. Si mes frères manifestent déjà le plaisir très vif qu’ils aimeraient à voyager, moi, cher père, je vous avouerai que je serais heureuse de voir de près les pays lointains que je ne connais que par les livres où il en est question.

Puisqu’il est bien décidé, mon enfant, que vous voulez tous me suivre du sol natal, j’espère que vous ne perdrez point des yeux, pendant le voyage, ce pauvre Gérald, qui me donne le plus grand souci. »

Il n’y avait plus à en douter, la résolution de Max Mayburn était bien prise. Il songeait plus que jamais à quitter le Royaume-Uni. Marguerite, assistée de la vieille Jenny Wilson, la servante dévouée de Mayburn, prépara toutes les choses indispensables à une émigration, et quand lord S. écrivit à son fermier pour lui annoncer qu’il acceptait ses propositions, qu’il avait vérifié et reconnu ses comptes pour exacts et lui rendait sa liberté, tout en regrettant de se séparer de lui, on eût pu se mettre en route le soir même, non cependant sans avoir présidé à la vente des meubles inutiles. C’était là tout ce qui restait à faire avant de quitter le pays.

« Ne croyez pas que je vous laisse partir ainsi, disait le soir même la vieille bonne Jenny Wilson à sa jeune maîtresse. C’est moi qui vous ai toujours soignée, et je ne me séparerai point de vous. Où vous irez j’irai, votre père vous conduisît-il au milieu des sauvages !

— Telle n’est pas son intention, ma bonne Jenny. Je crois que nous nous rendrons dans un pays où il y a plus d’Anglais que de fils de Cham.

— Vous savez cela mieux que moi, et je me confie à vous. Mais, Mademoiselle, que vont devenir tous les ouvriers de la ferme, qui étaient si dévoués à votre père, des gens qui vous ont vue naître, qui ont pleuré sur la tombe de votre pauvre mère et qui se mettraient au feu pour vous tous ?

— Mon père les recommandera à son successeur, qui, à ce qu’il paraît, est un excellent homme.

— Très bien ! mais jamais Ruth et Jack Martin ne voudront rester ici, si vous vous éloignez.

— C’est vrai, ma chère Jenny ; j’oubliais presque ces deux excellents cœurs. »

Ruth et Jack Martin, dont parlait Jenny, avaient été rencontrés, certain jour d’hiver, dans une ruelle du village de Wendon, exposés, le long d’une haie, au froid d’une nuit orageuse, cramponnés sur les cadavres de leur père et de leur mère, morts de faim et de misère. Un passant avait été attiré par les cris de ces deux petits malheureux : il avait appelé les gens de la maison la plus proche à son aide, et l’on avait pris immédiatement soin de ces infortunés. Lorsque ces enfants, réconfortés et réchauffés, purent raconter leur histoire, on apprit d’eux que leur mère, une bohémienne, avait quitté sa tribu pour épouser un ouvrier de chemin de fer ; que cet homme, adonné au vice de l’ivrognerie, après avoir perdu un bras, grâce à un accident causé par sa négligence, avait été renvoyé et s’était livré au vagabondage et à la mendicité.

Hélas ! tous les jours ces malheureux cherchaient à se tirer d’affaire ; mais bien souvent, l’aumône faisant défaut, ils avaient eu à subir les tortures de faim.