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AU PAYS DES KANGAROUS

— Agissez avec ruse surtout, observa Wilkins, qui avait granc’peine à cacher son émotion ; suivez l’émeu par derrière, car cet oiseau peut voir à un mille de distance devant lui. Par bonheur il est très sourd : le point essentiel est donc qu’il ne nous aperçoive pas, car autrement il fuirait avec la rapidité d’un cheval, et disparaîtrait bientôt hors de la portée de nos yeux et de nos flèches. Baldabella, tu essayeras de lui lancer ton boomerang. »

La sauvagesse comprenait parfaitement l’empressement de ses protecteurs qu’elle partageait en véritable enfant du désert. Elle fit signe que la chasse de l’émeu était fort pratiquée parmi les siens. Chaque chasseur s’avança à une certaine distance l’un de l’autre, puis voyant que l’oiseau, occupé à brouter quelque racine, levait la tête comme s’il se disposait à partir, ils lancèrent sur lui une volée de flèches et de javelots. Deux de ces derniers vinrent s’implanter dans le corps de l’émeu.

Baldabella lança alors le boomerang, qui atteignit l’oiseau et le renversa. La pauvre bête poussa un cri déchirant ; mais elle se releva et reprit sa course. En ce moment, quelques flèches encore volèrent en l’air et frappèrent l’émeu, qui s’affaissa pour ne plus se relever.

Tous les chasseurs s’étaient élancés vers leur proie ; O’Brien, plus ardent que les autres, allait mettre la main sur l’oiseau, lorsque Wilkins détourna fort à propos son bras. Il était temps l’émeu, se débattant lança à Gérald un coup de patte qui fit voler au loin son arc et les flèches qu’il tenait dans l’autre main.

« L’émeu vous aurait cassé la jambe s’il eut pu vous atteindre, lui dit Wilkins. C’est un marteau que cette jambe-là. Mon avis est qu’il faut achever l’oiseau à coups de lance avant de nous en approcher. »

Baldabella, sans avoir entendu les paroles du convict, s’était approchée, et d’un coup de sa masse avait achevé l’émeu, dont l’agonie fut très courte. En un instant il fut dépecé et vidé. Cependant les chasseurs se contentèrent d’emporter les deux cuissots ; car Wilkins, qui s’y connaissait, déclara que c’étaient les seuls morceaux bons à manger, et qu’il y avait là pour deux jours de provisions.

« Voici des œufs observa Hugues, que nous ferons bien d’emporter pour les donner à mon père. Mais voyez comme ils sont lourds et énormes.

— Ces œufs sont, en effet, excellents à manger, dit Arthur, mais nous avons assez de vivres. N’importe, nous en prendrons deux, qui, après avoir été offerts à notre père, serviront de récipients pour porter de l’eau. »

Max Mayburn, qui avait assisté de loin à la chasse des jeunes gens, s’était fort intéressé à cette poursuite terminée par une victoire. Il examina avec l’attention d’un naturaliste les œufs verdâtres et la dépouille plume-poil de l’émeu, qui lui avait été présentée.

Après la chasse, on continua à s’avancer à travers la prairie verdoyante et fleurie, et l’on ne s’arrêta que le soir, à l’ombre d’un arbre à gomme, sous lequel on alluma du feu. Le repas se composa de steaks d’émeu, que chacun déclara préférables à ceux du meilleur bœuf d’Angleterre. Il ne manquait qu’un peu de sel pour l’assaisonnement. Personne ne se plaignit cependant, quoique l’eau manquât depuis le matin. Mais tous avaient con-