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VOYAGE

à son banquier, toutes les indications nécessaires pour qu’il fût possible d’aller le retrouver, au cas où les Mayburn reviendraient dans ce port de mer.

Pendant que le navire s’avançait sur l’Océan, les frères de Marguerite et le jeune O’Brien employaient leur temps d’une façon très ingénieuse.

Jack, le menuisier, disait un matin à M. Arthur :

« Regardez comme je sais bien fabriquer un bois de lit et des tiroirs de commodes le menuisier de M. Deverell m’a donné de bonnes leçons. Il m’a montré des maisons toutes prêtes à être montées. Les planches sont sciées de mesure et numérotées ; il n’y a plus qu’à les clouer. Il m’a fait voir les moulins à farine et les moulins à broyer les roches aurifères ; il m’a conduit dans l’entrepont, où sont amarrés les charrettes démontées et les canots empilés les uns dans les autres, que son maître emporte en Australie. Ah ! il y a dans ce navire tous les éléments à l’aide desquels une colonie doit infailliblement réussir. »

Ruth la maladroite, comme on l’appelait en Angleterre, avait réussi, à bord de l’Amoor, à faire oublier cette qualification. Au milieu des femmes des émigrants et de leurs enfants, la jeune fille avait su se rendre utile, et ce n’était que lorsqu’on la forçait à se presser qu’elle commettait encore quelque étourderie. Ce cas-là étant devenu fort rare, la jeune fille prenait soin des enfants, aidait les pauvres femmes à laver leur linge, et recevait les compliments de chacun pour son bon vouloir et ses intentions.

Gérald, qui avait toujours pris le parti de Ruth, déclarait à Jenny Wilson que si les jeunes filles faisaient des sottises, c’est qu’on ne leur avait jamais appris les choses comme on aurait dû le faire.

« Je suis d’avis, ajoutait-il, que c’est une fille d’esprit, une enfant jusqu’ici méconnue. Remarquez bien qu’elle n’a pas encore laissé tomber un enfant à la mer.

— Patience ! maître O’Brien nous ne sommes pas encore au but de notre voyage, » répliqua Jenny Wilson d’un ton d’oracle.

Le lendemain de cette conversation, la vieille domestique des Mayburn demanda à son jeune maître M. Arthur comment il se faisait qu’on ne vît aucun arbre à l’horizon, et que les jours ne devinssent pas plus longs. « Est-ce parce que nous sommes sur l’eau ? » fit-elle.

Arthur s’efforça de faire comprendre à Jenny qu’on se trouvait sous le tropique et qu’on avançait vers l’équateur.

Cette explication, au lieu de rassurer Jenny, ne fit que la rendre inquiète.

« Que Dieu nous assiste s’écria-t-elle. Comment nous approchons de plus en plus du soleil ! Mais, cher Monsieur, c’est fort dangereux ! Mon avis est que l’on doit rester où l’on est né. Si cette chaleur continue, nous deviendrons noirs comme ces nègres que nous avons rencontrés sur les quais de la Tamise.

— Que dites-vous là, ma pauvre Wilson. Ignorez-vous que les Européens ne noircissent pas ? Ils se contentent de brunir, ce qui est bien assez. Les nègres dont vous parlez appartiennent à une race différente de la nôtre vous devez vous en apercevoir rien qu’à leurs lèvres lippues.

– C’est vrai, » répliqua la vieille bonne, qui se contenta des raisons que venait de lui donner le jeune Mayburn.