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AU PAYS DES KANGAROUS

Wilkins prit dans ses bras la petite Nakina, à qui il fit voir le monstre qui ne remuait plus. Le convict regrettait fort qu’on abandonnât aux oiseaux de proie un gibier d’une telle valeur ; mais il fut facile de se convaincre que la chair était de mauvaise qualité, et les fugitifs décidèrent qu’on laisserait là le taureau.

On se demandait alors d’où pouvait venir cette bête, qui n’appartenait certainement pas à la faune australienne. Dans le cas où elle aurait fui loin de quelque colonie, on devait se réjouir d’être près des pays civilisés ; mais n’y avait-il pas d’autres taureaux devenus sauvages, dans les montagnes au milieu desquelles les voyageurs allaient s’aventurer ?

Une ouverture étroite s’offrait aux yeux des fugitifs, passage très convenable pour organiser une défense en cas de besoin. Arthur prit les devants en compagnie de Gérald ; il voulait s’assurer que l’on pourrait facilement s’avancer dans ce défilé.

Tout à coup Gérald s’adressa à Arthur à mi-voix.

« Il me semble entendre là-haut un bruit de pas au milieu des buissons. Arrêtons-nous, je vais décrocher une flèche dans cette direction.

— N’en fais rien, mon ami ; si c’était un second taureau, ta flèche, en l’atteignant, ne ferait que l’irriter. Je n’entends plus rien, avançons. »

Au moment où ces paroles s’échangeaient, une pierre détachée de la roche supérieure vint tomber à leurs pieds. Gérald descendit aussitôt de cheval et se mit à grimper le long des parois de la roche, tandis qu’Arthur lui criait :

« Descends ! descends donc ! te dis-je.

— Je n’en ferai rien avant d’avoir découvert d’où vient le caillou, qui a failli détériorer mon pauvre nez. »

Un moment après, Arthur entendait O’Brien dire à quelqu’un qu’il ne pouvait voir :

« Holà ! mon ami, qui donc espionnez-vous ainsi ? »

L’aîné des Mayburn éprouva un sentiment de stupéfaction à ces paroles inattendues, et, attachant aussitôt sa monture à un arbre, il s’assura de la charge de son fusil, et parvint en quelques bonds sur la plate-forme des rochers, assez à temps pour empêcher Gérald de frapper de son épieu un grand diable à la figure assez désagréable, avec qui il se débattait depuis quelques instants.

Cet inconnu, apercevant Arthur, s’écria :

« Combien êtes-vous ? Nous n’avons pas peur, et nous allons vous le prouver.

— Mon brave garçon, il paraît que nous faisons erreur l’un et l’autre. Vous nous prenez pour des « coureurs des bois », et nous avions la même opinion sur votre compte. Hélas ! nous ne sommes que de pauvres naufragés, qui avons été volés par les bandits de tout ce que nous avions pu arracher à la mer. Nous sommes en route pour retrouver des colons nos amis.

— Allons assez de mensonges comme cela, mon jeune voyageur. Je ne crois pas à ces inventions, puisque vous êtes monté sur un cheval qui nous appartient.

— C’est possible mais il est facile d’expliquer cette circonstance. Nous avons dérobé les chevaux que vous avez vus aux coquins qui nous retenaient prisonniers, et nous nous sommes enfuis.