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VOYAGE

Le cinquième jour, l’Amoor remit à la voile ; mais, à dater de ce moment, un sentiment pénible s’empara de tous les passagers, des jeunes surtout, qui comprenaient que le navire s’approchait de plus en plus des rives où la séparation devait avoir lieu.

Édouard Deverell lui-même, malgré ses préoccupations, ne cherchait pas à cacher le chagrin qu’il éprouvait à la pensée de ne plus jouir de la société de ses aimables compagnons et de Mlle Marguerite, dont il avait su apprécier les précieuses qualités. Miss Mayburn, à son tour, se disait en soupirant qu’elle n’aurait plus auprès d’elle un cœur d’or et un esprit d’une haute intelligence : ceci se rapportait à Édouard Deverell ; deux affections sincères, celles de la mère de son ami et de sa sœur Emma.

Chaque soir, en se promenant sur le pont, les uns et les autres formaient des vœux pour se retrouver bientôt réunis.

En pénétrant dans les eaux de l’océan Indien, les belles journées et le vent favorable dont on avait joui jusqu’alors firent place à des orages violents et imprévus. Tandis que Hugues et Gérald sondaient l’horizon pour y découvrir des pirates malais montés sur des praws (fines voilières), les matelots se tenaient sur le qui-vive, de peur d’être surpris par une trombe ou une coupe de vent.

« Notre situation est vraiment ridicule, disait Hugues à Gérald ; comment ! au lieu d’être assaillis par une véritable tempête, nous voilà ballottés par les vagues, deci delà, sans plus avancer ! Je voudrais en finir avec ces tergiversations de la température et de l’atmosphère ! Que Dieu nous envoie donc une fois pour toutes, une tourmente qui en vaille la peine nous ferons naufrage, nous toucherons sur une île déserte ; ce serait là une véritable aventure, quelque chose qui galvaniserait notre vie monotone.

— Ou plutôt qui l’abrégerait plus vite que nous ne le voudrions, répliqua Marguerite. Ne parle pas ainsi, malheureux enfant, ce serait tenter Dieu !

— Soit ! répliqua Gérald ; mais que diriez-vous d’un groupe de praws montées par des pirates qui viendraient nous attaquer ? Prêts à la défense, nous les attendrions derrière les sabords de notre navire, et nous ferions feu sur ces infâmes bandits. Nos efforts tendraient à nous emparer de leur capitaine, et à prendre avec nous tous les trésors recelés dans leurs embarcations. C’est alors que nous entrerions triomphants dans le port de Melbourne pour avoir le plaisir d’assister à la pendaison de tous ces écumeurs de mer.

Il n’est pas d’usage que les pirates malais emportent leurs richesses à bord, observa Arthur. Je ne vois donc pas l’avantage qu’il y aurait à nous trouver face à face avec ces enragés. Et puis, où sont donc les canots, les espingoles et les carabines de bord, qui nous aideraient à mettre l’ennemi en déroute ? Où avez-vous vu ces instruments de carnage dans l’intérieur de l’Amoor, mon ami Gérald ?

— En effet, murmura le jeune O’Brien, j’oubliais que nous manquions ici du nécessaire, de l’indispensable. Aussi pourquoi avons-nous pris passage à bord d’un navire marchand ? N’importe, ne possédons nous pas des fusils, des revolvers, des coutelas et des poignards ? Nous sommes tous braves, et nous nous défendrions comme de vrais lions. »