Page:Revoil Voyage au pays des Kangarous 1885.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
36
VOYAGE

çait de briser comme une frêle épave le radeau sur lequel tous se tenaient accroupis et cramponnés. Seul Black Peter restait étendu, toujours assoupi et cuvant son ivresse.

Dès qu’il fit assez jour pour travailler, Jack s’empressa de consolider les billes de bois du radeau et de recouvrir de la bâche goudronnée tous les bagages et le tonneau de biscuit, de peur que l’eau de mer ne détériorât les maigres provisions des naufragés.

À ce moment-là, le marin sauvé si miraculeusement d’une mort inévitable ouvrit les yeux et se releva d’un bond. Black Peter, d’une taille colossale, avait un visage hardi sur lequel se dessinait une terrible expression de férocité. Revêtu du costume de convict, qui fait frissonner tout honnête homme, il affectait des manières rudes et un ton insolent.

« N’avez-vous donc rien de mieux qu’un morceau de ce biscuit aussi dur que la pierre et que ce fade verre d’eau à offrir à un homme de cœur ? demanda-t-il à Arthur. Le gouvernement de la reine nous nourrit mieux que cela, quand les lois de la vieille Angleterre nous ont condamnés à venir vivre sous le ciel de l’Australie.

— Vous devez vous contenter du même ordinaire que le nôtre, répliqua Arthur Mayburn d’une voix très douce. Tant que nous pourrons partager un morceau de biscuit, vous aurez votre ration comme les autres. Il n’y a pas, il ne doit pas exister de privilège dans notre malheur commun.

— Vous avez été fous, continua Black Peter, puisque vous aviez de la place, en ne vous emparant pas de provisions meilleures. Avez-vous au moins pris une boussole ?

— Hélas ! nous n’en avons pas eu le temps, fit Arthur.

— Ainsi vous n’avez ni carte marine ni boussole ?

— Non.

— Eh bien corps des diables ! c’est moi qui vais prendre en main la direction du radeau. Partout où je mets les pieds j’entends être le maître, et le premier d’entre vous qui résistera, je lui casserai la tête d’une balle. »

Tout en parlant ainsi, Black Peter avait tiré de sa poitrine une paire de pistolets enveloppés de toile cirée et parfaitement à l’abri de l’humidité de l’eau.

« Vous le voyez, continua-t-il en faisant jouer les batteries afin de s’assurer que la poudre était sèche, je n’ai pas oublié mes aboyeurs. Tiens, Wilkins ! je vais essayer mon adresse sur ta vilaine figure. »

Le marin repentant se jeta aussitôt derrière Arthur Mayburn.

« Allons, allons ! pas de plaisanterie, observa le fils aîné de l’émigrant d’un ton sévère. Si vous êtes armé, nous le sommes comme vous, et le premier qui me désobéira, à moi qui commande sur mon embarcation, sera un homme mort, je vous l’affirme. »

Black Peter, sans répondre un mot, remit ses pistolets à sa ceinture, et, adressant un regard haineux au jeune « capitaine » qui ne broncha point, il lança un éclat de rire contenu et alla s’asseoir vers le gouvernail du radeau.

« Quel courageux capitaine nous avons choisi murmura Gérald à l’oreille