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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/240

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REVUE DES DEUX MONDES.

guious courut porter ses ardentes pensées dans les campagnes voisines de la ville, en attendant l’heure de midi, heure à laquelle Eudoxie commençait ses tournées accoutumées. Il promenait ses pas vagabonds des collines à la mer, de la mer aux collines ; ses courses incertaines le conduisaient vers les rives du Nahr-el-Kébir qui avaient entendu les premières confidences de son amour. Le jeune Lattaquiote fredonnait sa chanson sur un air qu’Eudoxie connaissait ; il avait choisi précisément un des airs qui avaient si bien inspiré Eudoxie, dans cette soirée arabe où Guéorguious la trouva belle au point de lui vouer à jamais son ame et sa vie. Enfin l’heure de midi arrive ; le jeune homme se rend au café ; il s’assied sur le côté de l’estrade le plus près de la porte, et fume le narguillé comme aux jours où rien ne troublait le calme de son esprit, où toutes les heures s’écoulaient pour lui indifférentes. Plusieurs chrétiens oisifs fumaient dans la taverne arabe. Guéorguious attendit long-temps. Eudoxie et Dimitri ne parurent à la porte du café qu’un peu avant le coucher du soleil. La petite chanteuse se fit entendre ; les regards passionnés de Guéorguious cherchaient les regards d’Eudoxie et les rencontraient quelquefois. La pauvre jeune femme poursuivait ses mouals, tremblante et baissant les yeux autant qu’elle le pouvait ; quant à Dimitri, il frappait en cadence sur son tambour et ne songeait qu’à la quantité de paras qu’il espérait ramasser. Eudoxie n’avait pu dérober à Guéorguious son émotion ; celui-ci sentait son cœur battre à coups redoublés, et renonça au projet de chanter sa chanson. Ô Dieu ! en amour, qu’est-ce que la parole auprès du regard ? Lorsque vint le moment de la petite collecte, Guéorguious tira de sa poche quelques paras pour les donner à Dimitri. Plusieurs habitués chrétiens en firent autant, et tandis que Dimitri présentait à la ronde sa tasse de bois, Guéorguious se lève, paie le cafetier, et, passant à côté d’Eudoxie restée seule au seuil de la porte, il se contente de lui dire à voix basse : Guéorguious vous aime, gardez-vous d’en douter ; songez à votre bonheur et au sien.

En sortant du café, le jeune homme regagna les champs à pas rapides, et marchant à l’aventure ; emporté par l’ivresse de l’amour, il s’en allait parlant d’Eudoxie aux arbres, aux fleurs, aux ruisseaux, se recommandant à Dieu, à la Vierge, aux anges,