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VISITE À LATTAQUIÉ.

à toute la nature, aux djins qui, dans l’opinion des Arabes, favorisent ou déjouent les projets des hommes. La nuit était descendue depuis plusieurs heures, quand Guéorguious retourna dans sa demeure, uniquement occupé du moyen de revoir la bien-aimée de son âme, la fille de ses songes brûlans.

Eudoxie, troublée, avait repris le chemin de sa cabane. Que d’images, que d’impressions nouvelles pour Eudoxie ! dans quelle vie inconnue elle allait entrer ! Elle crut se rappeler que Guéorguious l’avait souvent regardée avec intérêt depuis quelques mois, et surprit dans son ame un penchant déjà presque ancien pour le jeune Lattaquiote qui venait de jeter à son oreille les plus douces paroles qu’elle eût jamais entendues. Ces mots : « Guéorguious vous aime, gardez-vous d’en douter », revenaient à chaque instant sur ses lèvres et lui semblaient l’expression complète et définitive d’un sentiment vrai. Assurément il m’aime, ajoutait-elle, puisqu’il me l’a dit ; quel intérêt aurait-il à tromper une pauvre femme comme moi ? Guéorguious est cet inconnu que j’invoquais vaguement dans mes douleurs, ce sauveur mystérieux que j’appelais intérieurement à mon secours, dans ces heures où les larmes de mes yeux arrosaient ma natte de jonc ; un moment nous a suffi pour nous comprendre, car depuis long-temps nous nous attendions tous deux, depuis long-temps nous nous appelions secrètement pour achever ensemble notre route. Vierge Marie, dites-moi quand je pourrai le revoir ? — C’étaient là les préoccupations intimes d’Eudoxie ; l’amour était pour elle la première page d’un livre qu’elle ne connaissait pas encore.

J’ai parlé plus haut de la fontaine de Saint-Alexis, située hors de Lattaquié, à peu de distance. Guéorguious savait que, chaque matin, Eudoxie allait y puiser de l’eau pour la journée ; trois fois le soleil levant le surprit sur le chemin de la fontaine : hommes, femmes et filles passaient et repassaient devant lui avec des urnes sur la tête ; mais Eudoxie n’y était point, Guéorguious avait manqué trois fois l’heure de son passage. Le quatrième jour, les premières lueurs de l’aube le trouvèrent encore sur le chemin de la fontaine. Tout à coup une femme paraît au détour du sentier ; elle cheminait seule, nu-pieds, avec une urne sur la tête ; un petit voile blanc, qui laissait son visage découvert, retombait le