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Page:Revue Contemporaine, serie 2, tome 17, 1860.djvu/529

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REVUE CONTEMPORAINE.


» Ô terre, dans ton sein je sens courir des fièvres :
Des frissons inconnus glissent dans les forêts ;
Partout je vois s’unir les fleurs roses des lèvres
Et les premiers amants qui s’offrent à mes traits.

» Quel long frémissement de délire et de joie
Dans les ravins profonds et sous les myrtes verts !
Je nais, et tout fleurit, tout vibre, tout flamboie.
Je suis le jeune roi de ce jeune univers ! »

Et ce dieu nouveau-né que sa puissance enivre
Ainsi qu’une secrète et magique liqueur.
Heureux de commander et plus heureux de vivre.
Sur le monde asservi posait un pied vainqueur.

Quand près de lui soudain une vierge plaintive.
Sombre comme un fantôme en ses noirs vêtements,
Se dressa, consternant la nature craintive.
Et jeta l’épouvante aux gaîtés des amants.

Ombre mystérieuse et sinistrement belle.
Avec un regard plein d’une triste douceur :
« Tu ne seras pas seul, ô cher Amour ! dit-elle ;
Je viens à toi, je suis ta compagne et ta sœur !

» Tu ne me connais pas : moi, je suis la Souffrance !
Les Dieux nous ont unis pour l’immense avenir.
Sans doute tu me crains dans ta jeune ignorance.
Mais ton âme apprendra plus tard à me bénir.

» Dans les cœues qu’à vingt ans ton soleil illumine
Et vient incendier de ses vives splendeurs,
Moi je prolongerai ; l’illusion divine
Et les enivrements des premières candeurs.

» Par l’obstacle et la mortelle attente.
Par les mille combats imposés au désir,
Par tous les freins cruels à l’ardeur haletante.
Je viens purifier extase du plaisir.

» Aux tourments implorés je donnerai des charmes :
La fleur de la tendresse au calice embaumé
Répand plus de parfum sous les premières heures
Comme après la rosée un lilas ranimé.