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L’ART MODERNE

Toujours Punch ! Ah ! Oui ! Il est aussi de sa race. Punch et Judy sont suivis d’une très bonne étude sur les marionnettes, signée Émile Straus et intitulée : Les Paralipomènes de Punch.


{{t2|ANDRÉ FONTAINAS r^’Indécis (1).

M. André Fontainas est un des jeunes écrivains qui ont le plus fortement subi rinfluenco de Mol la r nie. Pendant plusieurs années, son style fut une armure compliquée, ciselée avec art, hérissée de clous d’or et de diamants pointus, qui étreignait sa pensée et la protégeait contre les regards profanateurs du grand public. L’Ornement de la solituds est ce qu’il a fait de plus complet et de plus fort en ce genre. C’est sa tour d’ivoire, le refuge d’une âme délicate, désireuse de s’enfermer avec ses rêves loin des petitesses et des misères de la vie. Seulement, il paraît qu’on peut être tenté dans une tour d’ivoire comme dans le désert, car voilà M. Fontainas qui vient d’ouvrir la porte de son ermitage pour regarder passer une caravane de pauvres mortels. Il s’est même amusé à la peindre, ce qui nous vaut un beau roman de mœurs, clairement et simplement écrit.

Tout le fond de l’œuvre est occupé par une collection de petits bourgeois. Au premier plan se détache la figure d’Etienne Béjarric, « l’Indécis ». C’est un’être hybride, supérieur à son milieu, assez clairvoyant pour apercevoir les turpitudes des siens, assez’ noble pour en rougir, mais qui manque de la volonté nécessaire pour élever sa vie à la hauteur de ses rêves. Il souffre-p^ir son père, vieillard égoïste, il souffre par sa sœur, jeune fille pratique qui épouse un personnage à la fois vulgaire et important, il souffre par les femmes qui l’attirent et qui le dupent, il souffre par tout le monde, jusqu’au jour où le destin le pousse dans les bras d’une "miss qui lui apporte en mariage une grande beauté avec une grande dot.

Un siècle plus tôt, Etienne aur ; iit été un romantique. Il aurait rempli le ciel et la terre du bruit de ses lamentations. Il se serait suicidé aux pieds jié M’" « Dnin ou devant la porte fermée de M’"" Delaroque. A notre époque, ce n’est plus qu’une épave. C’est le contre-pied d’un Julien Sorel, une médaille effacée par trop de polissage. Il n’y a chez lui aucune ligne arrêtée ; c’est un être tout en nuances. Maniée par des doigts un peu durs, cette frêle silhouette se serait effritée. Le talent souple de M. Fontainas a su lui infuser la vie à la fois forte et ondoyante qui lui convenait. Il l’a fait évoluer avec beaucoup d’habileté dans son milieu insipide. Ce milieu lui-même est décrit avec un art très fin. La vulgarité de tous ces gens se devine plus qu’elle ne se montre. La satire garde une hautaine élégance. L’auteur se contente de souligner d’un petit sourire de mépris les ridicules de ses personnages. Il est même si discret qu’il est difficile de deviner ce qu’il pense au juste du héros principal. Je suis tenté de croire qu’il lui est indiférent. Il semble n’avoir vu en lui qu’un beau sujet de dissection et il l’a disséqué d’une main experte. Ses sympathies paraissent plutôt aller à deux comparses:à Gurneati et à Médéric. Le pre Paris, Mercure de France.

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mier est un sage, qui cherche le bonheur dans l’indépendance et l’obscurité; l’autre est un ivrogne impénitent. En eux se résume la morale du livre, à savoir que pour être relativement heureux ici-bas, il faut se contenter d’une honnête médiocrité ou, comme l’avait déjà dit Baudelaire, se griser.

Si VIndécis est, au fond, un livre pessimiste, ce n’est pas un livre noir. Le poète de C ? T’/)j/.sc « /es apparaît derrière le, romancier et guide souvent sa main. Il se révêle surtout dans les descriptions, dont quelques-unes sont charmantes et suggestives comme des poèmes.Les personnages se meuvent souvent dans des oasis de clarté. M. Fontainas excelle à faire jouer la lumière sur la nature, à nous montrer celle-ci à l’heure où elle s’éclaire, à ce moment précis où les couleurs s’avivent mais où il reste encore assez de brume entre elles et le soleil pour leur conserver leur fraîcheur, leur délicatesse et leur suprême pureté.

HUUEUT Kraixs

La Belle au Bois dormant.

S’inspirant de l’usage qui, chaque année, à Londres, veut qu’à la Noël quelque éblouissante féerie apporte aux spectateurs, sur les scènes les plus sérieuses, les joies innocentes des contes puérils, la direction de la Monnaie a intercalé entre les représentations du lioi Arllius et celles des Maîtres Chanteurs une féerie lyrique dont le spectacle — qui tient à la fois du ballet, de la pantomime et de l’opéra comique — délassera les auditeurs et les divertira agréablement.’^

La naïveté des récits qui charmèrent notre enfance fut souvent utilisée par les dramaturges d’aujourd’hui, de même que la chanson populaire servit de base à maintes compositions vocales ou symphoniques. Biais à mesure que les fables innocentes s’enfoncent dans le recul des temps, leurs contours s’ellaccnt, leur ingénuité disparait, des personnages modernes s’y introduisent. En écrivant Ariaiie et Barbe-bleue, Maeterlinck pénètre son drame de symbolisme, l’anime de son esprit philosophique. Dans ses Chansons populaires, Pierre de Brévillc, sous couleur de noter musicalement l’invocation de Pierrot à la lune ou les n’vérences des passantes sur le pont d’Avignon, exprime la mélancolie, la tendresse, les émois d’une ûmc d’aujourd’hui. Ainsi se relie au passé le i)résenf, dans le mystère de la vie. Chaque étape humaine marque d’un millésime distinct les mythes éternels,

La Jklle au Bois donnant ne réllète point de préoccupations de ce genre, — et on peut le regretter. MM. Michel Carré et Paul Collin n’ont eu, semble-t-il, d’autre ambition que de tirer du joli conte de Perrault un livret d’opéra offrant au compositeur d’aimables prétextes à commentaires lyriques. Afin de permettre au costumier de mettre en scène des accoutrements pittoresques, ils ont situé le début de l’action au xv » siècle, sous lo règne de Charles VI, et la suite au xyi », sous celui de François I".

Les fées, avec leurs robes couleur de soleil et de lune, — ou même avec l’élégante tunique noire pailletée dont le caprice de M. Fernand Khnopff a revêtu M"" Maubourg — paraissent quel([ue peu dépaysées parmi les hennins du prologue, parmi les pourpoints et les toquets empanachés des actes subséquents. Mais, " bast ! Dans une féerie, la fantaisie est reine. Résignons-nous à ne point discuter ces inventions paradoxales.