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des maîtres des Pays-Bas, ne possède qu’une œuvre authentique de Van der Goes : Saint Jean-Baptiste dans le désert. »

Mais arrivons à l’Adoration des bergers du Musée de Bruxelles. Je ne l’ai pas ajoutée à ma liste comme étant un tableau de Van der Goes, ainsi qu’essaie de le faire croire M. P. Buschmann « Longtemps, ai-je dit, on vit dans le triptyque une œuvre capitale de l’heureux rival de Thierry Bouts. » Quel est cet on ? — Alphonse Wauters lui-même, qui s’exprime ainsi en 1872 : « Le Musée de Bruxelles a récemment fait l’acquisition d’un triptyque qui peut être hardiment attribué à Van der Goes. C’est une Adoration des bergers, avec les volets représentant, à l’intérieur, l’Annonciation et la Circoncision ; à l’extérieur, sainte Catherine et sainte Barbe peintes en grisaille » (p. 27). M. P. Buschmann ne partage pas l’opinion du savant et soucieux auteur de l’Histoire des environs de Bruxelles. Je ne songe pas à lui en faire un grief. Peut-être son opinion lui était-elle inconnue. En ce cas je suis enchanté de la lui apprendre. Pour montrer à mon contradicteur que je ne suis pas tout à fait ignorant, je lui dirai que je sais l’existence d’autres œuvres attribuées à Hugues Van der Goes. À Florence : Aux Offices, n° 749, deux portraits, attribués par certains à Petrus Christus, et provenant de l’hôpital Sainte-Marie-la-Nouvelle ; au palais Corsini, n° 87, la Vierge et l’Enfant Jésus ; à Berlin, un vaste triptyque, acquis l’an dernier…

Mais cette dissertation est déjà trop longue. Je ne m’y suis pas livré a dans l’intérêt de la vérité historique », comme dit avec un grand geste M. P Buschmann, mais pour essayer de démontrer que le jeu innocent des attributions faciles n’a jamais eu rien de sérieux et n’a jamais produit rien de probant. Non seulement — et j’abonde dans le sens de mon contradicteur — aucune des œuvres que j’ai citées, à part le triptyque de Florence, n’est authentique, mais encore toutes celles qui, selon M. P. Buschmann, sont vraiment de Van der Goes. Les œuvres attribuées sont comme les enfants, naturels de l’art. Peut les reconnaître celui qui en a le désir ; peut lui trouver un père celui qui n’aime pas les êtres sans nom… Selon nous, du moment qu’une chose est belle, nous l’admirons, sans tenter de vouloir percer une origine trop obscure.

Pour finir, je vais vous conter, si vous m’y autorisez, mon cher directeur, une petite anecdote qui me servira d’argument. Il s’agit également d’une œuvre du Musée de Bruxelles, cet admirable portrait de Charles le Téméraire tenant en main une flèche. En 1883, A.-J. Wauters, dans l’article de l’Écho du Parlement mentionné plus haut, après des déductions en apparence judicieuses et logiques, en arrivait à déclarer formellement que cette vivante effigie du duc de Bourgogne ne pouvait avoir été peinte que par Hugues Van der Goes. Ce panneau avait été attribué alternativement à Roger Van der Weyden, à Thierry Bouts, à Jean van der Meire. Le distingué auteur de la Peinture flamande aurait-il changé d’avis ? Il est permis de le croire. Bien qu’il fasse partie de la commission des Musées royaux, le portrait de Charles le Téméraire a été rendu et reste acquis à Roger de Bruxelles…

Pourtant il est des hommes éminents qui considèrent cette attribution elle-même comme erronée. Il y a quelques jours, au Musée ancien, Jean de la Hoese et moi nous regardions ce tableau, placé à côté d’un portrait d’homme de Memlinc (nos 294-34). Nous avons étudié avec attention la facture, le dessin, le sentiment, la couleur des deux œuvres. Le brillant portraitiste, qui a quelque compétence et qui a beaucoup « travaillé » les anciens, m’assura qu’on pouvait sans crainte ; intervertir les noms, donner à Mendinc le splendide portrait du vaincu de Nancy qu’on croit être de Van der Weyden et rendre à celui-ci la froide et sèche physionomie voisine. Je rapporte cette opinion parce qu’elle est curieuse et qu’elle me donne raison de rester incrédule aux attributions qui ne sont point fondées sur des éléments positifs. Cette controverse m’a mené loin des manuscrits du sous-prieur Gillemans, la seule chose qui importe en tout ceci. Nous sommes servis en l’occurrence par des dates précises et des circonstances qui laissent, en somme, peu de place au doute. Dans l’histoire de l’art il ne faut jamais accueillir la fantaisie.

Mais, comme le dit si élégamment M. P. Buschmann « il est dans l’interêt de nos lecteurs » de clore cette trop longue correspondance. Je vous serais reconnaissant mon cher directeur, de vouloir publier cette lettre en réponse à celle de M. P. Buschmann.

Croyez, je vous prie, aux sentiments bien confraternels de votre dévoué,


Le Monument de l’Union postale à Berne.

Le jury du monument de l’Union postale a adopté, le 8 août courant, le projet présenté par M. René de Saint-Marceaux.

La maquette représente une sphère roulant dans un nuage. Autour d’elle évoluent cinq femmes qui symbolisent les cinq parties du monde échangeant des correspondances dans une ronde aérienne, le nuage s’appuye sur un rocher évasé par le bas et dans lequel est assise une statue représentant la ville de Berne. Un ruisseau jaillissant du rocher formera un petit lac autour du monument.

Le projet a beaucoup d’originalité et de caractère. Il promet à la ville de Berne un monument remarquable.

Comme on le sait, le jury était international. La Belgique y était représentée par le comte J. de Lalaing.


LES OPERAS DE SMETANA

Le théâtre National de Prague vient de célébrer la mémoire de Smetana par la représentation du cycle complet de ses œuvres. Le correspondant du Bulletin de l’Art ancien et moderne donne sur les huit opéras qui composent ce cycle les détails suivants :

« Les Brandebourgeois en Bohême, oeuvre de début, d’une intrigue enchevêtrée, contiennent néanmoins de belles pages et les danses annoncent le vrai Smetana.

La Fiancée vendue est la pièce nationale et populaire par excellence ; on n’imagine pas plus d’entrain et de verve ; c’est la seule fois que Smetana s’est permis d’employer le comique à proprement parler musical : un motif de bègue d’un effet irrésistible. Et le livret est une trouvaille.

Dalibor toute la tragique poésie des temps d’oppression ; Smetana y a trouvé des accents, des harmonies d’une émotion indicible.

Libuse a été écrite pour l’inauguration du théâtre National, en 1881, et c’est ce qu’on appelait en langage wagnérien un Bühnenweihfestspiel ; elle demeure réservée, selon la volonté du maître, aux grandes fêtes et aux solennités nationales. On l’a rejouée, à peine le cycle achevé à l’occasion de la translation des cendres du poète Kollar de Vienne à Prague. C’est un spectacle d’une belle grandeur décorative, quoique le librettiste ait trouvé moyen de donner toute l’importance a une querelle d’amoureux, de manière à rendre épisodique Libuse elle-même et Piemysl, les héros véritables du drame. La partition est la plus poussée et la plus wagnérienne de Smetana.

Dans Les Deux Veuves il s’agissait de donner un opéra comique léger, badin ; le musicien y a déployé une vivacité de dialogue, une gaîté, une distinction alerte de l’orchestre qui en font un heureux pendant aux meilleures pièces françaises du genre.

Le Baiser revient aux paysanneries, et si le second acte a des longueurs de texte, le premier, tout entier sur des rythmes de polka, la danse nationale tchèque, peut compter parmi les productions les plus riches et les plus senties de l’auteur.

Le Secret, plein de chansons et de chœurs d’une inspiration absolument populaire, est plus savant, très travaillé et en garde quelque sécheresse.

Enfin, Le Mur du diable (Certora Stena) l’idée de Smetana, donner le spectacle d’une joyeuse féerie, où la fée est remplacée par un diable malicieux sans méchanceté.

Toutes ces pièces, avec un choix d’autres de Dvorak ; Fibich, Kovarovic, seront reprises en cycle au mois d’août. »