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Coffin, dans sa longue étude, s’attache surtout à Vittore Carpaccio. Il fait une curieuse comparaison entre la Sainte-Ursule de cet artiste et celle de Memling. On sait que la châsse de Sainte-Ursule fut placée à l’hôpital de Bruges le 24 octobre 1489 et que Carpaccio paracheva ses peintures pour la Scuola di S. Orsola de 1490 à 1496.

« En bon et loyal artisan, » dit Goflin, « en fidèle franc-maître de la gilde de Saint-Jean et de Saint-Luc qu’il est, Memling a mis tout son savoir et toute son expérience à livrer un travail irréprochable, tant comme matière que comme fini, de telle sorte que chaque scène de sa Légende est un chef-d’œuvre de composition et de coloris. Mais ces qualités ne nous satisferaient point ou nous lasseraient bientôt, et l’œuvre nous paraîtrait insuffisante, si elle ne remplissait le dessein d’exaltation dans lequel elle a été conçue, si elle n’était tout embrasée de la flamme spirituelle dont les lueurs se reflètent partout, dans l’ensemble et dans les détails, dans l’expressive altitude des acteurs du drame et, surtout, dans la physionomie de l’héroïne de celui-ci, de sainte Ursule, avec son visage de candeur sérieuse et de droiture, sans beauté effective, mais transfiguré par l’amour divin et la joie de sa vocation de sacrifice…

« Memling néglige les préliminaires de l’histoire : il entame cette dernière à la première arrivée de la sainte à Cologne, à l’apparition de l’ange, c’est-à-dire au moment où le caractère surnaturel de la destinée d’Ursule se décèle. Carpaccio, lui, qui avait du reste à couvrir des espaces plus considérables, prend la narration de l’hagiographe au début et consacre les quatre premiers tableaux de son cycle aux allées et venues des ambassadeurs de Bretagne à la cour d’Angleterre et à la séparation d’Éthérius et de sa fiancée d’avec leurs parents…

« Aussi est-ce la partie principale et la plus captivante de son œuvre, celle à laquelle les préférences naturelles et les aptitudes de son talent lui ont fait travailler avec une prédilection manifeste.

« Carpaccio est un conteur — un conteur délicieux, rempli, certes, de la conscience de son art et de la gravité de son sujet, mais emporté par son instinct de beau diseur, qui s’abandonne avec complaisance à la prolixité imagée ; jaloux de surprendre et de divertir ses auditeurs, en enjolivant un peu sa « geste » sacrée, en ajoutant à l’intérêt propre de sa « matière » mille détails de réalité et de fiction qui lui serviront de commentaire agréable et fleuri. »

(A continuer.)

Les Œuvres d’Hughes Van der Goes[1].

L’intéressant problème soulevé par M. Sander Pierron continue à faire du bruit. Voici les renseignements que nous adresse à ce sujet M. l’abbé Moeller, directeur de l’excellente et très littéraire revue Durendal :

Les Vies des Saints du Brabant de J. Gielemans contiennent trois miniatures. La première a pour légende ce texte : Hace figura repraesentat S. Karolum Magnum, imperatorem Romanorum, regem Francorum ac ducem Brabantinoram et onmes sanctos et sanctas, qui prodierunt de stirpe ipsius ante et post. En effet, cette miniature représente Charlemagne ; les franges extrêmes de son manteau sont tenues d’un côté par saint Albert, l’évèque-martyr de Liège, de l’autre par saint Louis, évêque de Toulouse. Sous les plis du manteau s’abritent, d’une part saint Louis, roi de France, saint Arnould, évêque de Metz, et saint Guillaume, ermite, et d’autre part sainte Gertrude, sainte Begge, sainte Gudule et sainte Amelberge.

La seconde miniature représente un arbre au tronc élancé ; de ses fleurs émergent les images des saints suivants, clairement désignés par leurs noms écrits en toutes lettres : S. Oda virgo, S. Rumoldus, S. Gummarus Confessor, S. Wivina abbatissa, S. Luytgardis monialis, S. Theodardus episcopus et martyr, S. Lambertus episcopus et martyr. Près du tronc de l’arbre, qu’elle enserre du bras, se dresse sainte Hélène saisie par deux bourreaux. Sous la miniature, on lit l’inscription : Haec figura repraesentat sanctos et sanctas in Brabantia natos seu Conversatos, qui non prodierunt de stirpe ducum Brabantiae, sed aliunde.

La troisième miniature représente une vue de Jérusalem.

Ces miniatures sont-elles de Van der Goes ? Pour résoudre cette question il ne suffit pas d’affirmer, comme le fait Sander Pierron, que de 1476 à 1482 Van der Goes et Gielemans ont vécu ensemble à Rouge-Cloître. Il faut examiner soigneusement la date des manuscrits.

La troisième enluminure n’est certainement pas de Van der Goes. Car l’Historiologium qui la contient a été écrit de 1486 à 1481, cinq ans après la mort de Van der Goes.,

Pour la date de l’Hagiologium, qui renferme les deux autres miniatures, on n’est pas fixé d’une façon certaine. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il a été écrit après 1476 et avant 1484. Comme d’autre part cependant nous savons qu’en 1479 Gielemans était encore occupé au Sanctilogium et que le Novale Sanctorum semble avoir été commencé en 1483, il s’ensuit que l’Hagiologium a été écrit entre 1479 et 1482, les trois dernières années de la vie d’Hugo Van der Goes.

Reste à voir si l’état de santé du malheureux artiste lui permettait encore, à cette époque, l’enluminer les manuscrits. Car, on le sait, il était atteint d’aliénation mentale dans les derniers temps de sa vie.

Consulter, sur la question, l’ouvrage des Bollandistes : De codicibus Hagiographicis Johannis Gielemans, canonici regularis in rubea valle prope Bruxellas adjectis anecdotis. Bruxelles 1895. Voir surtout pp. 8-14 et 42-43.,


LA MUSIQUE À OSTENDE

Le défilé des virtuoses de marque continue. La voix de Claire Friche a vibré avec générosité dans les vastes espaces du Kursaal, malheureusement trop souvent en intonations fausses. Le beau violoncelle de Marix Loevensohn a victorieusement chanté le difficile Concerto de Schumann. Le même jour, Elza Szamosy, l’étoile de Budapest (étoile de café-concert ?) a beaucoup diverti le public. Le violoniste-prodige de onze ans, le Transylvain Franz von Veczey (prononcez Velcheïe) jouera pour la troisième fois le 30 août (Concerto de Tchaïkowsky). Jan Kubelik Deviendra pas.

La question de la direction de l’orchestre s’impose. Il suffirait, pour démontrer ce qu’on pourrait faire d’une telle phalange, de la confier pour une seule séance à un bon chef. Quelques concerts dirigés par les Richter, les Mottl, les Richard Strauss, les Weingartner, voire par un Chevillard ou par notre Brahy, donneraient à la prochaine saison un lustre artistique que n’ont jamais eu les concerts d’Ostende.

La question du chef d’orchestre domine celle du recrutement des virtuoses. L’administrateur hors ligne qu’est M. Marquet doit se poser ainsi le problème. Étant donnée la somme totale qu’il consacre à la musique, quel en est l’emploi répondant au plus grand effet utile ?

J. F.

PETITE CHRONIQUE

Le théâtre de la Monnaie vient de publier le tableau de sa troupe pour la prochaine saison. Nous en avons indiqué déjà les éléments principaux. Les chanteuses, au nombre de vingt-deux, sont : Mmes Litvinne et Landouzy (en représentations), Paquot-D’Assy, C. Baux, F. Alda, C. Thévenet, L. Foreau, J. Laffitte, C. Eyreams, G. Bastien, J. Maubourg, M. Muratore, Dratz-Barat, D. Brozia, F. Carlhant, G. Gortez, E. Simony, A. Tourjane, J. Pau-

  1. Suite. Voir nos trois derniers numéros.