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REVUE MODERNE

Quand il fut déjà loin, au milieu de l’étang, le chaman ordonna à l’enfant d’appeler cette âme, pour qu’elle revînt.

Et le brillant esprit se retourna à l’appel de l’enfant, et il revint lentement sur la vague dorée, laissant de tristesse pendre ses ailes lorsqu’il arriva sur le bord.

Et quand le chaman lui ordonna de rentrer dans le corps de l’homme, il gémit comme une harpe brisée, puis recula… mais il obéit.

Et Anhelli s’étant réveillé, s’assit, et demanda ce qui s’était passé en lui.

Les pêcheurs lui répondirent :

Seigneur, nous avons vu ton âme, et nous te prions d’être notre roi ; car les souverains de la Chine ne sont pas vêtus avec plus de splendeur que l’âme qui habite dans ton corps.

Et nous ne connaissons rien, en ce monde, de plus brillant excepté le soleil, et les étoiles qui rayonnent dans la nuit.

Les cygnes qui, en mai, volent au-dessus de notre terre, n’ont pas d’aussi blanches ailes que ton âme.

Nous avons même senti le parfum qu’elle exhale ; on eût dit le parfum de mille fleurs ou l’odeur du muguet.

En les entendant ainsi parler, Anhelli se retourna vers le chaman, et dit : Est-ce la vérité ?

Et le chaman répondit : C’est la vérité, tu es possédé par un ange.

Qu’a donc fait mon âme pendant qu’elle était libre ? demanda Anhelli ; dis-moi-le, car je ne m’en souviens pas.

Le chaman lui répondit :

Elle a suivi cette route dorée qui s’allonge sur les eaux, et elle s’enfuyait dans cette direction comme un homme qui se hâte.

À ces mots, Anhelli baissa la tête, réfléchit, et se prit à pleurer, en disant :

C’est qu’elle voulait retourner dans sa patrie !


VI

L’AGENT DU FISC


Le chaman, après avoir calmé la douleur d’Anhelli, laissa les pêcheurs et s’avança dans le désert.

Et la lune était encore haute quand ils entrèrent dans la cabane d’un vieillard qui salua le chaman comme un vieil ami : c’était un des confédérés de Bar… le dernier de tous.