Page:Revue Moderne, vol.52, 1869.djvu/265

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
259
LE POÈME DE LA SIBÉRIE

être vivant, ne fût-ce que l’araignée chère au prisonnier, qui descend manger dans sa main le rayon du soleil.

Je m’étais attachée à toi comme une sœur, comme une mère, plus encore… Mais la tombe finit tout.

Ne m’oublie pas ; car qui se souviendra de moi après, ma mort, hormis le renne que j’avais accoutumé de traire en pleurant.

Si tu sais où vont les hommes après la mort, dis-le moi ; car je suis inquiète quoique j’espère en Dieu.

Je m’envolerai vers ton pays natal, j’irai voir ta maison, tes serviteurs, tes parents, si toutefois ils vivent encore.

Je verrai la place où fut ton berceau d’enfant et la couche de tes premières années.

Tu me diras que ce sont là des idées grossières, que l’homme ne vole pas après la mort. Qu’importe si de telles pensées rendent la mort moins affreuse.

Vois, au-dessus de mot lit, ce morceau de glace rougi par le soleil, et derrière, ces deux ailes rayonnantes : n’est-ce pas un ange d’or qui se tient au-dessus de moi ?

Les rennes arrachent la mousse de ma couche et broutent mon lit funéraire. Mes pauvres rennes, adieu.

Et maintenant j’élèverai mes yeux vers la reine du ciel, et je lui adresserai ma prière.

La mourante se mit alors à réciter les litanies de la mère du Christ, et, au moment où elle disait Rose d’or[1], elle expira.

Et alors, ô miracle ! une rose fraîche tomba sur la blanche poitrine de la morte et son parfum embauma toute la grotte.

Et Anhelli n’osait point toucher le corps de la morte ni croiser ses mains qui restaient étendues ; mais il s’assit à l’extrémité du lit et pleura.

Et soudain, vers minuit, une grande rumeur se fit entendre, et Anhelli crut que c’était le frémissement des rennes qui arrachaient la mousse du lit de la morte ; mais ce bruit avait une autre cause.

Une nuée d’esprits ténébreux s’était assemblée au-dessus de la grotte ; ils riaient bruyamment et ils montraient leurs faces noires à travers les fentes de la voûte de glace et s’écrie :

Elle est à nous !

Mais la rose miraculeuse, déployant soudain des ailes de colombe, prit son essor au-dessus d’eux et elle se mit à fixer sur les démons des yeux de chérubin.

  1. Le poète se trompe, c’est Rosa mystica que porte le texte des litanies.