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sphères les plus élevées de l’amour pur, est un symbole d’une originalité et d’une force inouïes. Faire succéder le thème du Dragon à celui de la Paix du Bonheur, pour montrer l’évolution de la Walkyrie vers la réalité humaine, la féminisation de la déesse, est la plus merveilleuse expression d’une analyse psychique dont l’art nous donne le modèle.

« Cette femme farouche, ô Siegfried, ne te fait-elle point peur à présent ? » demande Brünnhilde, tandis que l’orchestre lance le crescendo saccadé du thème de la Chevauchée des Walkyries ; et le héros entonne, d’une voix que renforcent les instruments graves de l’orchestre, le motif de Siegfried, gardien de l’épée, auquel les clarinettes répondent par le chant de l’oiseau qui l’a guidé jusqu’à la vierge enfin conquise[1]. À la mélodie du Trouble d’amour[2] est venue se substituer celle de l’Extase d’amour[3]. Les voix se répondent, s’accompagnent à intervalle de tierce. « C’est en riant, ô bienheureux, en riant que pour moi tu te réveilles ; Brunnhilde vit, Brunnhilde rit !… Mon héritage, mon bien, éclatant Amour riante mort ». Le thème d’Amour, de plus en plus joyeux et rapide, tend à adopter le rythme des motifs qui, au premier acte peignent la joie de Siegfried, son amour de la vie et du mouvement (Fahrtenlust), et, par une suite de triolets et de trilles, se résoudre en un accord final d’ut majeur, tandis que le héros serre éperduement dans ses bras la déesse devenue femme.

(À suivre)
Edmond Locard

Nous publierons dans le cours de la saison des correspondances de Chambéry, Saint-Étienne, Roanne, Grenoble, Vienne, Valence, Avignon, Nîmes, Montpellier, Marseille, Nice, Monte-Carlo et Genève.

Chronique Lyonnaise

GRAND-THÉÂTRE


Première représentation de « Salammbô »

J’ai dit dans une précédente chronique quelles furent les altérations subies par l’œuvre de Flaubert, et comment, sur les indications de l’auteur lui-même, Camille du Locle tira du lumineux et lyrique poème en prose un livret qui en atténue singulièrement le charme profond. La partition de Reyer, qui a obtenu du reste ici le grand succès qu’elle avait eu jadis à la Monnaie comme à l’Opéra, mérite pour cette raison du moins qu’on en rende compte avec quelque détail.

L’introduction longue de quarante mesures seulement, expose d’abord dans le ton de mi bémol mineur le thème du Zaïmph constitué par une série descendante d’accords de trombones et trompettes doublés à l’octave par le tuba, accompagnées par des gammes roulantes de harpes donnant la gamme diatonique de mi bémol mineur à laquelle se superposent des trilles en tierces des cordes et des flûtes. Puis un des motifs du temple (2e acte) et le thème du cor de Tânit alternent, en mi bémol mineur, puis majeur, et le rideau se lève sur une phrase des trompettes qui reparaîtra souvent par la suite.

La scène au 1er acte représente les jardins d’Hamilcar. Les chœurs qui se succèdent affichent la prétention de caractériser par leur ton et leur rythme les caractères opposés des diverses nationalités en présence. J’avoue ne pas très bien saisir en quoi le thème des Numides est plus africain que celui des Gaulois. Reyer n’a pas plus réussi dans cet essai de couleur locale, qu’en une occasion toute semblable, Massenet ne réussit avec ses marchands arrêtés aux portes de Jérusalem (Hérodiade, acte 1). Citons cependant le contre-chant de hautbois qui souligne les plaintes des esclaves enfermés dans l’ergastule et le motif de trompettes accompagnant l’entrée de Narr Havas.

Matho délivre les esclaves. Spendius le remercie en un cantabile (6/8, si majeur) largement déclamé. Le suffète Giscon arrive :

  1. Thème du Dragon, p. 329, l. 3 (mi, fa, mi, sol), et l. 4 (fa dièze, sol, fa dièze, la). Thème de la Chevauchée, p. 330, l. 1 et 2. Thème de Siegfried, gardien de l’épée, p. 330 et 331, en ré majeur puis en ut majeur. Thème de l’Oiseau, p. 332, l. 1, mi majeur. Le thème de la Chevauchée apparaît une dernière fois, p. 332, l. 4.
  2. Liebeswerwirrung.
  3. Liebesentzückung.