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Page:Revue Musicale de Lyon 1903-11-24.pdf/7

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revue musicale de lyon

cahier de sonates, en leur disant : « C’est du classique ». Remarquez bien que personne ne se donne la peine de leur expliquer ce que cela veut dire ; à quoi bon d’ailleurs ? Mais qu’arrive-t-il ? Dans le jardin potager des études musicales, fertile en gammes et en exercices, ces malheureuses sonates, avec leur étiquette de « classiques », demeurent comme un épouvantail à moineaux ; elles ne laissent à l’élève que des souvenirs hargneux de doigts tordus ou de poignets crispés ; et le mot reste pour lui synonyme de musique ennuyeuse et incompréhensible.

Comment pourrait-il en être autrement ? le résultat est fatal. Il y a là une lourde faute de la part des professeurs de piano ; on ne doit pas faire ânonner par des enfants des œuvres dont l’exécution devrait être au contraire le couronnement d’une carrière de pianiste ; on ne doit pas mésuser de l’art, ni le détourner de son but ; c’est un crime… j’allais dire un détournement de mineure. Et pourquoi pas ? Ne sont-elles pas de pauvres mineures, d’éternelles orphelines, les géniales œuvres des maîtres qui sont morts, et le premier devoir de ceux qui sont vivants n’est-il pas de les protéger contre le viol ?

Ah ! les beaux monuments que l’on pourrait faire avec cette musique classique, que ce soient des sonates, des quatuors ou des symphonies ! Il y a des palais féériques et des cathédrales flamboyantes ; il y a des forteresses et il y a aussi des prisons. Il y a même un monument qui est tout à fait étrange, et c’est celui-là que je veux vous montrer, car vous connaissez sûrement la sonate qu’il représente, vous l’avez sans doute entendu massacrer cent fois, peu de sonates ayant été aussi peu respectées des jeunes filles à marier : je veux dire la Sonate en ut dièse mineur de Beethoven, que les Anglais, amateurs d’idylles, ont arbitrairement dénommée : Sonate à la Lune.

Sonate d’amour, il est vrai, mais si loin d’une idylle ! Oyez plutôt. Dès les premières notes, on pénètre dans une salle basse et circulaire ; mais cette salle est si vaste et si mystérieusement sombre que l’œil n’en aperçoit pas l’extrémité ; ses murs sont si nus que la main ne peut s’y guider ; et l’amant frissonne en y pénétrant, et il tremble comme en un labyrinthe. Cependant une lumière vacille en face de lui ; l’amant s’avance plus joyeux ; il monte dans une tour, vers la petite lumière d’espoir ; et sans doute il va trouver enfin sa bien-aimée. Mais non, la bien-aimée n’est point là. Et voici soudain qu’une voix semble sortir des profondeurs et appeler. C’est elle, c’est elle… Et l’amant redescend vers les ténèbres, courant à sa recherche, sous une voûte longue et sombre, ainsi qu’une caverne. Ah ! cette fois-ci, il n’y a que des aspérités de rocs pour rompre l’uniformité des murailles ; et s’il est quelque mosaïque, ce sont des taches de sang et des traces de larmes, car sans doute sous ces voûtes que l’on ne s’aime qu’en sanglotant, et les lèvres se font saigner dans les baisers. Et si l’on voulait regarder du dehors cet édifice étrange, peut-être ne verrait-on sur la montagne que la petite tour où vacille la flamme verte, le reste serait sous la terre, vers les gouffres et les abîmes…

A. Mariotte.

Lyon, Octobre 1903.

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