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revue musicale de lyon

Chronique lyonnaise

GRAND-THÉÂTRE


La Walkyrie

La première journée de la Tétralogie forme avec la troisième, entendue ici pendant les semaines précédentes, un contraste accusé. Ce qui met en lumière surtout cette opposition, c’est indiscutablement la part prépondérante donnée aux voix dans la Walkyrie. Les phrases mélodiques, excepté le récit de Siegfried et le chant des Rheintöchter, qui sont l’un et l’autre des emprunts aux journées précédentes, sont constamment instrumentales dans le Crépuscule. Dans la Walkyrie, au contraire, il se rencontre à chaque page des mélodies vocales développées et étendues : sans parler du Lied du Printemps, on ne saurait contester que l’invocation de Siegmund a l’épée, l’annonce du Walhall prochain par Brünhilde, une grande partie des supplications de la Walküre, et les adieux de Wotan ne donnent aux voix une place prépondérante, facilitent et rendent plus agréable le rôle de l’acteur et simplifient enfin l’effort de compréhension pour le public non initié en lui rappelant le principe et le procédé fondamental de l’opéra classique : tout aux voix.

Orchestralement, la Walkyrie est d’une complexité moindre que le Crépuscule, avec un enchevêtrement contrapontique beaucoup moins touffu, des thèmes moins altérés et surtout moins fondus, une instrumentation enfin plus simplifiée, moins savante et moins inaccessible au grand public.

On pouvait s’attendre à avoir de la Walkyrie une reprise au moins aussi intéressante que la création du Crépuscule, les éléments étant les mêmes, et l’effort à produire étant beaucoup moins considérable. La Walkyrie avait d’ailleurs été donnée à Lyon, il y a quelques années, d’une façon satisfaisante, et l’on était en droit d’espérer que la nouvelle interprétation ne laisserait rien regretter de la première.

Au point de vue orchestral, la comparaison est évidemment tout à l’honneur de la reprise actuelle. Les critiques que nous avions formulées contre l’exécution instrumentale de la Goetterdaemmerung, n’ont plus ici leur raison d’être. L’effacement relatif des cuivres devant le quatuor des cordes dans la partition de la Walküre, a permis de dissimuler la fâcheuse disproportion de l’orchestre lyonnaise, et l’absence si regrettable des altos et des violoncelles supplémentaires. En outre, on a eu l’heureuse inspiration de lacer les timbales, non pas à la partie la plus avancée de l’orchestre, mais dans une galerie couverte, en arrière, et en contre-bas. Enfin, et c’est à l’essentiel, M. Flon avait parfaitement mis au point et a conduit d’une façon tout à fait supérieure. Nous n’avons que des éloges à lui adresser : les phrases chantantes, les pages symphoniques ont été mises excellemment en lumière, notamment l’Incantation du feu.

Par contre, l’interprétation vocale n’a pas été à l’abri de tous reproches. Mettons hors de cause Mme Claessen, qui a été interessante, et meilleure ici que dans le Crépuscule. Exceptons encore, à la rigueur, M. Paul Daraux, qui chante avec une méthode parfaite, et a la prononciation la plus excellente qui se puisse imaginer, mais qui n’a ni autorité, ni tenue en scène, et qui surtout n’a la voix ni assez forte ni assez étendue, vacillante et grêle dès le mi, inexistante pour le fa. Mais le reste !…

Le reste, nous eussions mieux aimé n’en pas parler, nous contentant de considérer cette reprise de la Walküre comme nulle et non avenue. Mais la considération que la Tétralogie doit être reprise dans son ensemble, que c’est là une entreprise des plus honorables et des plus heureuses dont nous ne saurions nous désintéresser, nous oblige à dire quelques mots des artistes qui sont appelés à chanter la seconde journée tétralogique.

M. Gauthier, nous le répétons ici pour la dixième fois, a une très belle voix, mais il n’a rien de ce qui fait un interprète du drame wagnérien : le premier acte de la Walkyrie lui est apparu comme une succession de vagues romances et de cantilènes à la Massenet. Il lui manque toute une éducation spéciale : espérons que les conseils compétents ne lui feront pas défaut.