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revue musicale de lyon

Chronique Lyonnaise

LES CONCERTS

Concert Lamoureux

Nous avons dit dans notre dernier numéro combien la direction de M. Camille Chevillard nous semblait préférable à celle de M. Édouard Colonne : celle-ci, précise et intéressante sans doute, mais trop extérieure ; celle-là, au contraire, très émue, très humaine. M. Colonne, en acceptant au dernier moment de diriger un concert huit jours avant celui annoncé depuis longtemps, de l’orchestre Lamoureux, a voulu jouer au petit jeu des comparaisons et dans ce tournoi, dont nous fûmes les heureux spectateurs, il n’a pas, de l’avis général, obtenu l’avantage.

La soirée du 1er mars débutait par l’Ouverture de Benvenuto Cellini dont il n’y a rien à dire et nous ne pouvons comprendre la raison de ce choix malheureux d’une production plus que médiocre, ni l’entêtement de M. Chevillard à maintenir cette œuvre et aussi la Marche Hongroise au programme de son concert.

La Symphonie en ut mineur que nous avions entendue jouer autrefois à Lyon par la Philharmonique de Berlin, sous la direction de Hans Richter, est l’œuvre de Beethoven préférée des chefs d’orchestre ; elle a reçu une interprétation de tous points admirable et il faut tout louer sans réserves, la netteté du premier allegro en ut mineur, le charme de l’andante en la bémol que les altos et les violoncelles ont chanté avec grâce, mais sans afféterie ni rubato exagérés, la précision des violoncelles et des contrebasses dans l’exécution du redoutable trait du trio en ut majeur du scherzo qui, pour Berlioz, ressemble aux ébats d’un éléphant en gaieté ; enfin la fulgurante exécution du finale qui, bien qu’écrit en ut majeur, tonalité généralement peu éclatante, est d’une sonorité merveilleuse.

Là, comme dans toutes les autres parties du programme, l’orchestre fut admirable de précision et de vigueur : M. Chevillard obtient de la masse de ses instrumentistes des détails, des finesses de solistes en même temps qu’une fusion parfaite des différents timbres, et il les conduit avec une intelligence, une ardeur, une passion et une vie merveilleuses.

L’ouverture de Tannhæuser fut également admirablement interprétée, le choral des pélerins dit avec une ampleur et une sonorité excellentes, les traits obstinés des violons dessinés avec la plus grande netteté, les thèmes fébriles du Venusberg, chantés avec la langueur énervante, la volupté inquiète qui les caractérisent ; le retour triomphal du choral clamé splendidement par tout l’orchestre dans un fortissimo magnifique et sans tapage inutile.

Dans ce final, plus d’un auditeur a été surpris de ne pas entendre les cors très en dehors comme dans la plupart des exécutions. Cet effet facile, recherché par plus d’un chef d’orchestre, M. Chevillard ne l’a pas voulu et avec raison. Wagner tenait en effet à ce que la prédominance restât aux trombones, il écrivit cette fin, non pas pour quatre ou six cors, mais pour deux seulement. Et l’on ne peut que féliciter le chef d’orchestre de son respect pour la pensée du Maître.

Le prélude de Tristan qu’il est d’usage de continuer au concert pa la scène de la mort d’Isolde est une des pages où se révèlent avec le plus de précision et de relief le tempérament et le caractère d’un orchestre et de celui qui le conduit. Il y a pour ainsi dire deux version de cette symphonie : l’une allemande, l’autre française, essentiellement différenciées par le mouvement que les deux écoles ont adopté. La tradition bayreuthienne presque uniformément suivie de Berlin à Munich, veut plus de lenteur ; l’interprétation française, plus de rapidité et de fougue. À cette distinction dans le jeu, correspond une différence fondamentale dans la compréhension et par contre-coup dans l’effet produit : l’esthète allemand y met plus de tendresse et de profondeur, il est plus métaphysique, et c’est bien ce qu’avait voulu Wagner ; l’artiste français y met plus de passion et d’ardeur, il est plus sensuel, et c’est bien ce que réclament les nerfs de notre public. De là ces déchaînements longuement retenus,