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été chassé de Saxe et banni. Son tempérament le portait à la lutte. Il voulait faire connaître sa pensée. Musicien de profession, il choisit pour cela la forme qui lui paraissait la plus près de ses aptitudes, la poésie lyrique et le théâtre. Doué d’une imagination qui grandissait tout, comme en France Victor Hugo, il considéra que le théâtre lyrique s’accommode mieux des dieux et des héros que des hommes. D’ailleurs, en prêtant sa pensées à des êtres symboliques, au-dessus de nous, il échappait aux fluctuations de mode, même de civilisation. Eschyle, Sophocle, Euripide, Shakespeare, Gœthe n’ont pas procédé autrement.

Quelle était cette pensée ? Fort simple peu nouvelle, combattue ou approuvée par les philosophes, les moralistes, les publicistes de tous les temps. L’amour est la seule loi naturelle ; — L’ambition et la soif de la puissance représentées par l’or, nous ont rendus méchants et menteurs ; — En rejetant l’or loin d’eux, ils reviendront à l’amour et seront heureux.

Pour traduire cette pensée, Wagner prit la fable des Niebelungen. Il la transforma, la défigura pour la rendre propre à sa thèse. Je ne prétends pas analyser son drame. Ce travail a été clairement fait par des écrivains distingués dans chaque journal. Je voudrais seulement essayer de mettre en relief l’idée dominante et le rôle de quelques personnages principaux.

Wotan, c’est l’image même de l’homme dans sa mélancolie douloureuse. Notre misérable volonté est toujours soumise à la volonté plus forte de la Nature, du Destin. Chaque jours à chaque minute, nous sommes contraints d’agir contre notre désir. Nous paraissons libres et le désespoir qui en résulte que l’auteur représentant Wotan doit montrer au public.

Albérich a dérobé l’or, que la nature avait fait pour être la propriété de tous. Il l’emploie à réduire en esclavage son frère Mime et tous ses compagnons. Mime, le pauvre être opprimé, a appris la ruse et le mensonge dans sa souffrance même. Il est devenu, par la souffrance, méchant et assassin. Hagen, simple et grossier instrument dans la main d’Albérich, trompe et tue aussi, toujours pour avoir l’or et la puissance. Gunther, cauteleux et peureux, ne recule devant rien pour assouvir son désir de posséder une femme. On rencontre souvent dans la vie Albérich, Mime et Hagen.

La fatalité opprime aussi la touche Sieglinde. Elle a été livrée à un homme qu’elle n’aime pas. Un jour l’amour la saisit. Elle est transfigurée. Elle s’enfuit avec son amant. Aussitôt le malheur l’accable. Son amant meurt. Elle est presque folle, et n’a plus de vie que pour son fils. Hélas ! cette histoire est-elle si rare, et les choses ont-elles changé beaucoup depuis ces temps lointains ?

Siegfried, c’est la jeunesse. Il semble que chaque être, à son entrée dans la vie, va à la conquête de la nature. Siegfried s’y élance sans peur. Il n’en faut pas faire une sorte de rustre puissant et grossier. C’est un jeune homme, ni plus ni moins, avec les qualités brillantes et les défauts choquants des jeunes gens. Siegfried est poétique et charmant. Mais il a une pointe de brutalité. Il est gai, ivre de liberté, vaniteux, sans grande bonté ; il ne manque pas d’adresse. On peut dire que la journée qui porte son nom, dans la Tétralogie, est une longue description de la jeunesse. Le drame éclate quand il rencontre la Femme. Au premier jour, quel amour, quels serments éternels ! La lassitude vient vite. Siegfried a besoin de voyager. À la première pierre du chemin il oublie tout, et trahit. Puis quand vient la mort, à l’heure où la sérénité des choses nous apparaît, il se souvient de Brunhild. C’est avec elle, avec sa douce pensée qu’il