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nich. J’avais entendu, il y a deux ans, dans ce dernier théâtre, les Maîtres-Chanteurs de Nurenberg et j’en avais été émerveillé. Je les ai entendus cette année à Vienne, confortablement assis dans un fauteuil qui m’avait coûté six couronnes, c’est-à-dire six francs et quelques centimes, au bureau de location, sans majoration de prix, et j’y ai éprouvé, s’il se peut, plus de plaisir encore.

Rarement, jamais peut-être, je n’avais vu remplir le rôle de Walther par un ténor, non pas seulement mieux doué au point de vue vocal, mais réalisant d’une façon plus heureuse, avec un dédain plus absolu de la convention théâtrale, l’idéal de jeunesse, de spontanéité naturelle et simple de ce personnage, que par Slezak, l’artiste qui en était chargé ce soir-là et qui m’a paru, du reste, être l’idole des Viennois. Et que dire de l’orchestre, dirigé par Schalk, un chef qui n’a pourtant ni le renom, ni l’autorité d’un Richter, d’un Mottl ou d’un Weingartner, de sa prodigieuse souplesse, de sa sonorité si variée, tour à tour si vigoureuse et si veloutée, que j’avais par instants l’illusion de la légèreté spirituelle et railleuse de Rossini répondant à l’austère majesté de Beethoven.

M’efforcerai-je de décrire par surcroît les sentiments des auditoires avec lesquels j’ai partagé ces émotions, leur recueillement attentif, la sincérité et la vivacité de leur enthousiasme ? J’y ai déjà fait allusion, et je n’y saurais revenir que pour en conclure une fois de plus, ainsi que de tout le reste, qu’à l’encontre de l’opinion de M. Lalo, l’heure du déclin et de la désaffection n’a point commenccé encore pour Wagner. Ce qui est à la rigueur exact, c’est qu’il n’a pas reçu jusqu’ici chez nous, en général, l’accueil triomphal qu’il trouve presque partout à l’étranger. Mais comment en serait-il autrement, puisque d’abord, — et ceci s’adresse à Paris pour commencer — on a négligé de le faire connaître, puis qu’ensuite, quand on s’y est décidé, et là où on s’y est décidé, on ne l’a jamais représenté dans des conditions entièrement dignes de lui.

Il faut ajouter en effet, — et j’aborde ici un ordre d’idées étranger à celui qui a été envisagé par M. Lalo, — qu’au point de vue même de l’exécution matérielle des ouvrages dramatiques, nous sommes très inférieurs à l’Allemagne, et qu’aucune ville en France ne possède de salle de spectacle aussi admirablement outillée que plusieurs de celles qu’on rencontre chez nos voisins.

Le théâtre de Bayreuth, construit d’après les indications et sous la direction de Wagner, est déjà un modèle d’excellent aménagement intérieur, sous le double rapport de la disposition de la salle et de la machinerie destinée à la mise en scène et il ne se passe pas d’année qu’on n’y apporte un nouveau perfectionnement. Mais celui du Prinz-Regent de Munich, qui a vingt-cinq ans de moins, est plus remarquable encore, et il est impossible, je crois, de concevoir un ensemble de conditions mieux accommodées à l’agrément et à la sécurité du public que celles qui ont été réunies dans cet imposant et gracieux édifice de style gréco-pompéien, sobrement et richement décoré. Les larges couloirs qui en assurent l’évacuation rapide, les vestiaires spacieux où, sous un numéro correspondant exactement à celui de son fauteuil, chaque spectateur peut gratuitement déposer ses effets, les nombreux escaliers qui en desservent les différentes rangées de stalles, le jardin charmant, peuplé de fontaines et de statues, où circule, durant les entr’actes, une foule élégante, composée de l’élite intellectuelle et sociale des deux mondes ; la grande et belle salle de restaurant où les intermèdes du spectacle réunissent, autour de petites