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Page:Revue Musicale de Lyon 1904-12-25.pdf/2

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revue musicale de lyon

cessé de devenir plus aléatoires et plus flous. La mémoire se mesure plus difficilement et plus inexactement que les perceptions élémentaires ; le jugement s’est montré moins simplement réductible encore aux formules de laboratoire. Si nous abordons maintenant le domaine de l’affectivité et du goût, nous nous trouvons en face de phénomènes psychologiques résistant à l’analyse et qui ne semblent nullement susceptibles de se plier à une transcription chiffrée ou graphique, et que nulle intégrale ne saurait embrasser dans leurs variations infinies. C’est ici le cas de se remémorer l’axiome : En biologie un principe est d’autant plus faux qu’il est plus mathématique.

Et en effet, comment ramener à une série mesurable les réactions que produit en nous un dessin mélodique, une harmonisation complexe, une combinaison de timbres, comment écrire l’équation qui aura pour termes la sensation auditive et le frisson qu’elle produit. Comment différencier par des coefficients la musicalité d’un wagnérien de celle d’un chanteur des rues, comment enfin traduire, sous une forme matérielle et mesurée, ce qu’il y a en nous de plus impondérable et de plus immatériel : le plaisir.

Faudra-t-il attribuer une cote, schématisant le développement du goût chez le sujet en expérience, suivant qu’il aura proclamé sa préférence ou sa sympathie pour telle école ou pour tel maître. Mais comment établir préalablement cette échelle des mérites, et cette hiérarchie du talent. Quel autre guide et quelle garantie aura-t-on que le goût propre de l’expérimentateur ? C’est aller droit à l’arbitraire, et de là à la fantaisie la plus pure. Ce serait tout au plus matière à humoristiques diatribes.

Quelqu’un que je sais me souffle une systématisation ainsi conçue :

« Il sied d’inscrire au dernier degré, avec la désignation : dégénérés inférieurs, les malheureux qui osent avouer une préférence malsaine qui osent avouer une préférence malsaine pour l’immonde Donizetti. On estimerait comme des médiocres, pourvus d’une cérébralité minuscule, ceux qui aiment la musique immédiatement supérieure, c’est-à-dire celle des cirques. Une amélioration croissante se chiffrerait avec l’affinité pour la musique d’Ambroise Thomas, puis celle des cafés-concertes, puis celle des romances poisseuses dues à Tosti, Niedermeyer, Luigi Bordèse, Tagliafico et autres Massenets ; les fervents de Rossini, Verdi, Mascagni, Puccini, voisineraient avec les chevaliers du Grand Opéra genre Meyerbeer, Halévy, Gounod, auxquels succéderaient les jolies femmes que Chopin fait pâmer. Au-dessus, et avec la cote moyenne caractérisant les normaux, on étiquetterait les admirateurs de Bach, Berlioz, Beethoven Mozart. Un notable coefficient s’attribuerait tout naturellement à ceux qui s’élèvent jusqu’à la compréhension wagnérienne (et dans cette série, il y aurait encore des étages, du Fliegende Hollænder à Parsifal en passant par les Maîtres, Tristan et la Tétralogie. Enfin, les sectateurs des écoles nouvelles obtiendraient des numéros importants. Les debussystes figureraient avec assez d’exactitude les dégénérés supérieurs et détiendraient le record. »

Mais de telles estimations pourraient, d’un commun avis, paraître entachées d’arbitraire. À cette conception plutôt fantaisiste d’une échelle où se situeraient les intelligences suivant le perfectionnement de leur goût, la psychophysiologie nous permet de substituer une méthode plus rationnelle. Toute émotion se traduit par une altération plus ou moins accentuée des phénomènes respiratoires ou de la circulation. Or, ces altérations sont à la fois perceptibles et mesurables, elles se peuvent même représenter par un graphisme automatique. Il suffirait donc, pour apprécier la sensibilité musicale