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M. PAUL SOUDAY.

NOTES ET IMPRESSIONS.

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tent pour les laisser passer, et ils disparaissent, en chantant la phrase que nous avons entendue déjà un peu trop souvent, et qui n’est pas, du reste, la meilleure de l’ouvrage, — tandis qu’Attila, frappé ■par Ilda, rend le dernier soupir.

Je vous ai montré quelques-uns des défauts de ce poème. Le principal, c’est que pas un des personnages n’a de vie propre. Ce sont des « emplois », pas autre chose. Que pouvait en faire le compositeur ? On a reproché par exemple, à M. Vidal les « roucoulements » de son Attila. Et, sans doute, il eût pu lui maintenir une silhouette un peu plus continûment farouche. Encore ne fallait-il pas qu’il eût à mettre en musique des vers comme ceux-ci, que je cite au hasard :

Lorsque l’éveil d’une ardeur inconnue Fondra la nei{,’e où sommeillent tes sens. Seul je lirai, dans ton âme ingénue, Le pur secret de tes désirs naissants…

Cela est du dernier galant ! M. de Ne vers parlait ainsi dans la Princesse de Clêvns. Mais Attila ?…

Empêché, et pour cause, de donner une physionomie propre à ses personnages, M. Vidal a dû se contenter de soutenir leurs propos par des musiques diverses. Pour analyser sa partition, il faudrait examiner chaque morceau, et cette revue serait d’un intérêt médiocre. Selon les normes, M. Vidal a cru devoir souligner l’action par quelques motifs conducteurs (celui de Gautier, entre autres, est de fière allure) ; mais ce procédé n’a de raison d’être que si l’action modifie peu à peu l’âme et les sentiments des personnages. Et, tels ces personnages nous apparaissent au premier acte, tels ils restent, immuables, jusqu’au dénouement.

Si la Burgondc n’a pas eu tout le succès que l’on espérait, c’est qu’on attendait de M. Vidal quelque chose qu’iï ne pouvait pas donner. On ne lui demandait pas seulement un opéra à la mode de jadis, — on voulait que cet opéra nous rendît la même impression que des ouvrages analogues avaient produite sur nos devanciers. Cela est impossible. Quelque chose s’est passé depuis, qui a changé les points de vue. Il ne s’agit pas de savoir si le drame musical sera ou non « wagnérien », mais s’il sera simplement un drame, et non un prétexte à musique. Les « réactionnaires » les plus convaincus attendent encore les « morceaux » traditionnels sur lesquels ils fondaient jadis leur opinion. Ils n’y prennent qu’un médiocre plaisir, et ils s’en vont gémissant qu’ « il n’y a plus de mélodie ». Il y en a tout autant que jadis ; et je n’aurais pas de peine à trouver dans la Burgonde des pages égales, par l’élégance de la phrase et par la richesse des harmonies, à des pages qu’on acclamait jadis. C’est ces spectateurs qui ont changé, sans s’en apercevoir. Un autre idéal a

pénétré en eux, subrepticement ; le déplaisir, l’espèce de malaise qu’ils éprouvent à tel morceau traditionnel vient moins du morceau lui-même que de la fausseté du principe auquel il est dû. Ils veulent concilier leur amour pour les formes anciennes avec le désir instinctif d’une action logique. Et c’est ainsi qu’ils espéraient de M. Vidal ce qu’iï ne pouvait pas leur donner, ni lui ni personne.

Je souhaiterais que l’auteur de la Burgonde voulût bien réfléchir à tout ceci. II est bien doué, et son ouvrage, tout de même un peu « improdsé », n’est pas dépourvu de valeur. Je voudrais qu’il se recueillît, qu’il mît toute sa volonté, toute sa conscience dans une œuvre nouvelle. Le vrai succès lui viendrait, je le crois. Il sait que nul n’en serait plus heureux que moi.

Quel que soit cet ouvrage que j’espère, il ne pourra satisfaire les interprètes plus que la Burgonde. Il y a quelque chose d’amusant et de touchant à la fois dans leur joie de retrouver enfin les traditions où ils ont été élevés, les démarches « nobles », les gestes conventionnels, les points d’orgue et les cadences qui appellent l’applaudissement !… Louons, toutefois, l’ample diction de M. Delmas (Attila), la superbe trompette de M.Alvarez (Gautier), la voix charmante de M. Vagnet (Zerkan), et l’énergie farouche de M. Noté (Hagen). M"° Bréval est une Ilda pleine de noblesse ; M""" Héglon prête sa voix généreuse et passionnée au personnage de Pyrrha.

Je n’ai pas vu la pièce de M. Louis Legendre, Mademoiselle Mo7-asset. Vous savez qu’elle a eu du succès.

.Ma semaine prochaine la reprise de Fidelio.

Jacques du Tillet.

NOTES ET IMPRESSIONS

Il est d’usage, au début de chaque année, de distribuer des présents de nature et de valeur diverses à ses amis, connaissances et serviteurs ; et il est, en outre, d’une tradition constante, lorsqu’on est journaliste, de présenter vers la même date à ses lecteurs quelques considérations générales sur l’année qui finit, ainsi que sur celle qui commence.

Profondément respectueux des coutumes anciennes et soucieux d’affirmer la solidarité qui m’unit aux générations précédentes, j’ai accompli depuis trois jours, avec résignation et moyennant un nombre élevé de courses de fiacres à cent sous le quart d’heure, le premier de ces rites onéreux et