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Page:Revue bleue Série 5 Tome 8 Numéro 4, 27 juillet 1907.djvu/2

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L’empire sot dont vous vous pavanez
Est tout au plus la faiblesse des hommes.
Soyons aussi prudes à notre tour,
Jouons l’honneur, jouons l’indifférence,
D’un cœur léger redoutons l’inconstance
Et de grands airs effarouchons l’amour.
Qu’à notre front le seul mot de tendresse
Fasse monter une rougeur traîtresse,
Jouons la crainte et jouons les vapeurs,
Le sentiment, les larmes, les fureurs :
Eh ! quel plaisir de voir une femelle
Fléchir en pleurs notre fierté rebelle,
De savourer son dépit redoublé
Et l’abandon de son esprit troublé !
Depuis six mois Perette me promène
Par les langueurs d’une flamme incertaine.
Or, je prétends lui faire ressentir
Tous les tourments qu’elle me fait subir,
Tous les dédains de sa vertu postiche
Et de l’honneur qu’à grands frais elle affiche.
De ce travers je puis la corriger,
Et pour venir à bout de l’entreprise
Dans ce tonneau je m’en vais me loger.
Là, d’un cynique arborant la sottise,
Je foule aux pieds l’amour et les plaisirs.
Fou par sagesse et sage par folie,
Je jouirai de sa fierté trahie.
Mais la voici qui pousse des soupirs.


SCÈNE II

'ARLEQUIN, ' caché dans le tonneau ; 'PERETTE, ' à part.
Arlequin lève quelquefois la tête et examine Perette en faisant des arlequinades.


PERETTE

Pauvre Arlequin ! Quelle étoile ennemie
Vient dans sa fleur empoisonner sa vie ?
Par ma rigueur j’ai troublé son esprit
Et sa folie est l’effet du dépit.
Aurais-je cru qu’une flamme naissante
Pût allumer cette fièvre brûlante,
Qu’il devint fou pour mes faibles attraits !
Mais, juste ciel, est-il fou pour jamais ?
Pauvre Arlequin !.. Je suis bien malheureuse
En vérité d’être si vertueuse.
Pauvre Arlequin !.. C’est là que ma rigueur
À relégué tes beaux jours, et ton cœur ;
Et cette tonne où, nouveau Diogène,
Il passe un temps à l’amour enlevé,
Renferme, hélas ! et ma vie et la tienne,
Et le bonheur dont mon cœur est privé.


Elle s’approche du tonneau, et prend un air de persiflage. Elle continue :

Sire Arlequin, quelle mouche vous pique
Pour endosser cette maison gothique
Et dépouiller votre joyeuse humeur
Pour le métier de maussade rêveur ?
Pour moi, je crois qu’une telle folie
Est le ragoût de votre espièglerie.


ARLEQUIN, dans le tonneau,
prenant un air misanthrope.

Ah ! que mon cœur n’a-t-il connu plus tốt
Le ridicule et la honte d’un sot.
Ciel, j’ai vécu trente ans pour la bassesse
Et n’ai vécu qu’un jour pour sagesse !


PERETTE

En vérité, vous ne badinez pas


ARLEQUIN

Jusqu’à présent je n’ai fait que faux pas ;
J’ai promené ma course sans voir goutte.
Mais la raison vient éclairer ma route.
Tout ici-bas n’est que déloyauté,
Aveuglement, sottise, fausseté.
Pour être heureux que faut-il sur la Terre ?
De l’or ? Crésus en regorge et se plaint.
L’autorité ? César craint le tonnerre.
Il est puissant, il est tout… César craint.


PERETTE

Aimer.


ARLEQUIN

L’amour enfante tous les crimes.
Vivre à la cour ? Ce lot n’est pas le mien.
Régner ? Le trône est l’autel des victimes.


PERETTE, en riant.

Pour être heureux, mais que faut-il donc ?


ARLEQUIN

Rien !
Tout est folie, égarement, chimère,
Et je bénis le rayon qui m’éclaire.


PERETTE

Vous pourriez bien le maudire plutôt
Car le présent qu’il vous fait est bien sot.
Vous renoncez aux douceurs de la vie
Aux agréments de la société
Pour cette tonne où siège la folie !
La raison est bien sotte en vérité.


ARLEQUIN

Oui, j’y renonce, et je ne me réserve
Que le plaisir et que la liberté
De bien honnir tous les sots que j’observe
Et d’épancher le fiel que je conserve
Contre le monde et sa malignité.


PERETTE, en riant. <poem class="verse"> En vérité, votre âme est possédée D’une bien sage et bien plaisante idée. Bas. Il est fou.