Page:Revue de Genève, tome 3, 1921.djvu/17

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Puis ils quittèrent la promenade des remparts non loin de la gare, virent un train passer en soufflant avec une hâte pesante, s’amusèrent à compter les wagons et firent des signes à l’homme qui, emmitouflé dans sa fourrure, était assis tout au haut du dernier. Place des Tilleuls, devant la villa des Hansen, ils s’arrêtèrent, et Hans fit voir en détail à son ami combien il était amusant de grimper sur le portail et de le faire aller et venir sur ses gonds de façon qu’ils grinçassent. Mais, ensuite, il prit congé.

— Maintenant, il faut que je rentre, dit-il. Adieu Tonio, la prochaine fois, c’est moi qui t’accompagnerai chez toi, je te le promets.

— Adieu, Hans, dit Tonio, nous avons fait une jolie promenade.

Leurs mains, qui se serraient, étaient toutes mouillées et pleines de rouille, d’avoir tenu le portail. Mais lorsque les yeux de Hans rencontrèrent ceux de Tonio, une vague expression de remords apparut sur son joli visage.

— Et puis, tu sais, je lirai bientôt Don Carlos, dit-il vite. Cette histoire du roi dans son cabinet doit être très chic.

Là-dessus, il prit son sac sous son bras et partit en courant à travers le jardin. Avant de disparaître dans la maison, il se retourna encore pour faire un signe. Et Tonio Kröger s’éloigna tout radieux et léger comme s’il avait des ailes. Le vent le poussait par derrière, mais ce n’était pas seulement pour cela qu’il avançait si aisément.

Hans lirait Don Carlos, et alors ils posséderaient ensemble quelque chose dont ni Immerthal ni aucun autre ne pourrait parler avec eux ! Comme ils se comprenaient bien l’un l’autre ! Qui sait, peut-être parviendrait-il encore à le convaincre d’écrire aussi des vers ?… Non, non, il ne voulait pas essayer ! Hans ne devait pas devenir comme Tonio, mais rester tel qu’il était, si clair, si fort, tel que tout le monde l’aimait, et Tonio plus que tous les autres ! Mais de lire Don Carlos ne lui ferait tout de même pas de mal… Et Tonio passa sous la vieille porte trapue, longea le port, remonta les rues à pignons, raides,