Page:Revue de Genève, tome 3, 1921.djvu/477

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de sa chambre d’hôtel pendant trois jours entiers, en tenant son guide de voyage ouvert devant lui, et se comporta tout à fait comme un parfait étranger qui désire enrichir ses connaissances. Il contempla le Nouveau Marché du roi, et le « cheval » qui se dresse au milieu, leva les yeux avec respect sur les colonnes de la Frauenkirche, resta longtemps debout devant les nobles et gracieuses statues de Thorwalsen, monta sur la Tour Ronde, visita des châteaux, et passa deux soirées variées à Tivoli. Mais ce n’était pas à proprement parler tout cela qu’il voyait.

Sur les maisons qui avaient parfois tout à fait l’aspect des vieilles maisons de sa ville natale, avec leurs pignons arqués et ajourés, il voyait des noms qui lui étaient connus depuis son enfance, qui lui paraissaient désigner quelque chose de délicat et de précieux, et en même temps enfermer en eux comme un reproche, une plainte et la nostalgie d’un bonheur perdu. Et partout, tandis qu’il aspirait à longs traits, pensivement, l’humide air marin, il voyait des yeux aussi bleus, des cheveux aussi blonds, des visages exactement du même genre, de la même forme que ceux entrevus dans les rêves étranges, douloureux et pleins de regrets qu’il avait faits lors de la nuit passée dans sa ville natale. Il arrivait que, en pleine rue, un regard, la sonorité d’un mot, un rire le remuât jusqu’au fond de l’âme.

Il ne lui fut pas possible de rester longtemps dans la ville gaie et animée. Une douce et folle inquiétude, moitié faite de souvenirs, moitié faite d’attente l’agitait ; et il ressentait aussi le désir de pouvoir s’étendre tranquillement quelque part, sur une plage, et de n’avoir plus à jouer le touriste avide de s’instruire. Il s’embarqua donc de nouveau et navigua par une sombre journée (le mer noircissait) dans la direction du nord, le long des côtes du Seeland jusqu’à Helsingör. De là il poursuivit immédiatement son voyage en voiture, par la chaussée, pendant environ trois quarts d’heure, toujours surplombant un peu la mer, jusqu’à ce qu’il s’arrêtât devant son but final et véritable, le petit hôtel blanc à volets verts, bâti au milieu d’une colonie de maisons basses et dont la tour couverte en bois regardait la plage et la côte Scandinave. Il descendit, prit possession de la chambre claire qu’on