Page:Revue de Genève, tome 3, 1921.djvu/487

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genoux en terre, en lui présentant la petite coupe, ce qui la fit rougir de plaisir.

Cependant, on commençait, dans la salle, à remarquer le spectateur debout sous la porte vitrée, et de jolis visages échauffés tournaient vers lui des regards étonnés et investigateurs ; mais il restait quand même à sa place. Ingeborg et Hans eux aussi l’effleurèrent des yeux presque en même temps, avec cette parfaite indifférence qui semble presque du dédain. Mais soudain il eut conscience que, d’un point quelconque de la salle, un regard le cherchait et se posait sur lui… Il tourna la tête et immédiatement ses yeux rencontrèrent ceux dont il avait senti le contact. Une jeune fille se trouvait là, non loin de lui, avec un visage pâle, fin et allongé. Elle n’avait pas beaucoup dansé, les cavaliers ne s’étaient guère empressés autour d’elle, et il l’avait vue s’asseoir solitaire, les lèvres serrées, contre la muraille. Maintenant encore elle était seule. Elle était vêtue d’une robe claire et vaporeuse comme les autres, mais sous l’étoffe transparente on entrevoyait ses épaules pointues et chétives, et son cou maigre descendait si profondément entre ces pauvres épaules, que la silencieuse jeune fille paraissait presque un peu contrefaite. Elle tenait ses mains couvertes de mitaines minces devant sa poitrine plate, de façon que ses doigts se touchassent légèrement par le bout. La tête penchée, elle regardait Tonio Kröger de bas en haut, avec des yeux noirs, noyés. Il se détourna…

Là, tout près de lui, étaient assis Hans et Ingeborg. Hans s’était assis près d’elle, qu’on pouvait prendre pour sa sœur, et, entourés d’autres jeunes êtres aux joues colorées, ils mangeaient et buvaient, bavardaient et s’amusaient, se lançaient des taquineries de leurs voix au timbre clair, et riaient à gorge déployée. Ne pouvait-il pas un peu s’approcher d’eux ? Leur adresser à l’un ou à l’autre quelque plaisanterie qui lui viendrait à l’esprit, et à laquelle ils répondraient au moins par un sourire ? Cela le rendrait heureux, il désirait ardemment le faire ; il retournerait ensuite plus content dans sa chambre, avec le sentiment d’avoir établi un petit lien entre eux et lui. Il réfléchit à ce qu’il pourrait dire, mais il ne trouva