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TONIO KRÖGER[1]


I

Le soleil d’hiver, caché derrière des couches de nuages, ne versait qu’une pauvre clarté laiteuse et blafarde sur la ville resserrée entre ses murailles. Les rues bordées de pignons étaient mouillées et pleines de courants d’air, et, par moment, tombait une espèce de grêle molle qui n’était ni de la glace ni de la neige.

L’école était finie. À travers la cour pavée et hors de la grille, le flot d’enfants rendus à la liberté s’écoulait, se divisait et s’enfuyait à droite et à gauche. De grands élèves serraient avec dignité leur paquet de livres haut contre leur épaule gauche, tandis que du bras droit, ils ramaient contre le vent, dans la direction de leur repas de midi ; les petits partaient gaiement au trot, faisant rejaillir de tous côtés la neige fondue et s’entrechoquer l’attirail de la science dans leurs cartables en peau de phoque. Mais de temps à autre tous, d’un air vertueux, enlevaient leurs casquettes devant quelque professeur à chapeau de Wotan ou à barbe de Jupiter qui s’éloignait d’un pas grave.

  1. Au sujet de Thomas Mann, voir notre numéro de février 1921. (N. D. L. R.)