d’elle-même, deviné sa loi : le désir. Car il semble bien que l’on puisse sans trop de paradoxe affirmer que dans ce cas original le désir prend le caractère d’une loi régulière et ordonnatrice. Du désir, qui d’ordinaire asservit, Gide fait de la liberté. Alors qu’ailleurs le désir est désordre, Gide finit par en faire une puissance d’ordre ; chez lui, il crée au lieu de dissoudre, et la volupté engendrant la vie, s’associe à son rythme merveilleux, si même elle ne le détermine.
Qu’une âme partagée entre des exigences sans nombre consente au désir, qu’elle en fasse sa dominante et se veuille tout entière accordée à lui, voilà qui déjà lui prépare une sorte d’unité. Et cela d’autant mieux que ce n’est ni l’objet des désirs, ni leur satisfaction qui importe ; ils vont allègrement à toute chose, l’importance étant « dans le regard » et non « dans la chose regardée », et il y a profit à leur rassasiement, « parce qu’ils en sont augmentés ». Ils ne sont que l’émanation d’une force qui confère à celui qui la possède, comme à Saül lorsqu’il cherchait encore au désert les introuvables ânesses, une invisible et heureuse royauté. Et de par sa nature elle commence de mériter d’autres noms que le nom commun. A égale distance du réalisme qui adhère à la vie telle qu’elle est, sans imaginer ce qu’elle pourrait être, et de l’idéalisme qui la mutile, elle est à vrai dire une aspiration où l’âme, l’esprit, le cœur, le corps, les sens sont intéressés, où tout l’homme à la fois se cherche et tend à se dépasser.
J’aime en l’homme tout ce qui le dévore, déclarait le Gide du Prométhée mal enchaîné, et celui des Nourritures Terrestres : « Nathanaël je t’enseignerai la ferveur. Nos actes s’attachent à nous comme sa lueur au phosphore. Ils nous consument, il est vrai, mais ils nous font notre splendeur.
Et si notre âme a valu quelque chose, c’est qu’elle a brûlé plus ardemment que quelques autres ».
Ferveur, voilà bien le mot pour caractériser des émotions qui ont quelque chose de religieux — je ne dis pas de chrétien, car cette nostalgie n’est pas du ciel seulement et d’un paradis perdu à retrouver, mais tout ensemble de la terre et du ciel ; relier l’un à l’autre constitue ici l’acte de religion véritable.