Page:Revue de Paris, 1908, tome 3.djvu/141

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L’idée de s’en aller là-bas « être de noce », comme on dit dans le Bordelais, remplit Louise d’effroi. Oui, certes, elle avait promis. Mais c’était au temps des jours heureux, alors que tout lui souriait, lui était facile. Maintenant elle n’aurait plus le cœur à se mêler aux fêtes de famille. Et puis elle redoutait que le petit bureau de poste local ne s’encombrât de journaux où des notes encadrées l’insulteraient.

Elle répondit à sa tante qu’elle irait plutôt en Angleterre, où l’invitait depuis plus d’un an une certaine Georgette, mariée là-bas, et qu’elle avait connue au magasin.

Mais, au fond, elle ne songeait qu’au moyen de disparaître tout à fait.

Il arriva encore quelques lettres, et plusieurs feuilles illustrées qui la représentaient en des poses ridicules ou obscènes. En première page d’un journal, elle lut : « Le tableau sensationnel du Salon, la Nymphe de Silveira, a été acquis le jour même de l’ouverture. L’acheteur serait le comte Kowieski, ce riche boyard dont les collections sont célèbres. Le chef-d’œuvre du peintre vénitien irait donc orner en Russie un des châteaux où ce grand seigneur entasse des trésors d’art. »

« Tant mieux ! — se dit Louise ; — du moins ne restera-t-il pas en France. »

Mais le nom aussitôt la fit souvenir de cette comtesse Kowieska, si belle et follement élégante, qui venait au magasin. Depuis l’été, on ne l’avait pas revue, et maintenant Louise se rappela le propos d’une de ces demoiselles :

— Vous savez, la comtesse Kowieska a lâché son mari pour s’en aller avec un ténor… Il n’y a que les femmes du monde pour être aussi bêtes. Nous autres, nous sommes fixées sur ce qu’ils valent, ces beaux grimés !…


XXIX


Depuis près d’une semaine, Louise se tenait enfermée. Du haut de son balcon, elle apercevait la masse sombre des arbres, les lignes des rues et des avenues, et de cette ville immense étendue à ses pieds elle croyait entendre des insultes monter jusqu’à sa pauvre chambre. Elle, qui avait été la fête des yeux,