Page:Revue de Paris, 1908, tome 3.djvu/149

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— Toi, tu viendras avec moi là-bas, dans l’inconnu.

Et, tandis qu’elle lui parlait, l’idée la frappa que ce petit être serait bientôt tout ce qui lui resterait de son passé, et que dans ses yeux, cachés sous les soies épaisses, elle chercherait sans doute les reflets des images qui s’y étaient formées.

De la visite de Smith, de ce qu’il lui proposait, Louise s’était gardée de rien dire à sa tante, dont elle devinait la désapprobation indignée. Toujours, Félicité avait craint le scandale, s’appliquant à sauver les apparences, tandis que Louise, ainsi qu’en avait bien jugé Toussard, était une imprudente, une romanesque. Et, quoique nulle ambition ne l’entraînât vers un sort dont elle pressentait la mélancolie, ce coup de tête, sans qu’elle s’en doutât peut-être, devait la compromettre irrémédiablement.

Le courage lui manquait d’affronter une explication et de déchirants adieux : elle avait résolu d’écrire à sa tante.

La suppliant de lui pardonner cette fuite, qui en ce moment lui semblait la seule délivrance possible, elle ajoutait :

Ne vous inquiétez pas ; je vous donnerai bientôt de mes nouvelles et vous expliquerai tout. Aujourd’hui je n’en puis écrire davantage. Dites à monsieur Toussard que je songerai toujours à lui avec amitié, avec amertume aussi, car il m’avait tout prédit. Faites pour mes parents comme d’habitude et prenez soin des deux pastels qui sont dans mon petit salon.

Votre malheureuse

louise.

Ayant achevé sa lettre au milieu d’abondantes larmes, elle vint s’accouder au balcon. La ville se répandait au loin, à l’infini, et soudain toutes ces choses, qu’elle aimait, fuyaient, lui échappaient. L’âme de cette ville ne lui était plus de rien, lui devenait aussi étrangère que si tout à coup s’étendait devant elle Ninive ressuscitée.

Son petit sac à la main, Fairy sous le bras, elle monta en voiture.

Sans plus songer, elle s’en allait au hasard, épave emportée sur des flots rapides, et autour d’elle tout semblait mouvant, brisé, comme des objets réfléchis dans une eau courante.

Pourtant, à la rencontre de la rue d’Offémont, elle se pencha hors du fiacre, regarda la maison si connue sur laquelle se