Page:Revue de Paris, 1908, tome 3.djvu/154

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la vie, mais les vôtres emportent au delà de tout… De quelle partie de la France êtes-vous ?

— Mon père est Breton, — fit Louise, — et je lui ressemble.

— Ah ! oui, je comprends : — toute la mer est dans votre regard… la mer et le ciel aussi.

Puis il ne dit plus rien, s’absorba dans une rêverie profonde. Une sonnerie brusquement l’en arracha.

— Il n’y aura qu’un coup de cloche ce soir, — dit-il, — à cause de l’heure tardive. Je suis allé très loin aujourd’hui visiter des fermiers. Il y a si longtemps que je négligeais tout !

Côte à côte, ils descendirent. L’escalier était de marbre blanc à rampe très large. Des enfants ailés, toute une bande d’amours, décoration conçue en une époque galante, se jouaient sur cette rampe, couchés, assis ou prêts à s’envoler, tandis que passaient ce gentilhomme mélancolique et cette jeune fille craintive qui n’étaient point de ce temps-là.

La salle à manger, revêtue de brèche d’Alep, se divisait en panneaux entre lesquels des colonnes engagées s’ornaient aux chapiteaux de ciselures de bronze. Un surtout d’argent, œuvre de Germain, était posé sur la table, autour de laquelle des laquais à la livrée bleu et orange des Kowieski étaient rangés.

Le comte plaça Louise vis-à-vis de lui. Fine et fière, elle s’harmonisait avec cette demeure aux airs de palais. Il la considérait, et un sourire singulier, rapide, traversa son visage morne. Il lui plaisait qu’elle fût là, au lieu de l’autre, de celle qui maintenant sans doute courait les grands chemins, s’avilissait aux grossiers contacts… Cette vengeance convenait à ce méditatif, dont les bonheurs et les peines étaient silencieux et secrets, et il jouissait âprement d’asseoir, à l’endroit où jadis l’altière comtesse trônait dans son orgueil et son ennui, cette petite fille de rien, cueillie sur une avenue de Paris.

Le service se faisait avec une gravité solennelle. Le comte ne parlait pas et ce repas était imposant comme la célébration d’un rite.

— Vous ne touchez à rien, — dit-il tout à coup. — Cependant la cuisine ici est française : mon chef vient du Café Anglais.

Louise répondit que la fatigue l’empêchait de prendre la