Page:Revue de Paris, 1908, tome 3.djvu/158

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tête de cheval sculptée dans la pierre ; le centre formait un vaste manège.

— Si vous ne savez pas monter à cheval, mon piqueur, qui est un fameux écuyer, vous servira de professeur. Dans les écuries se trouvent plusieurs chevaux dressés pour dames… J’ai aimé le cheval. On est ravi dans l’espace, on s’oublie, on oublie tout… Il y a quelque temps que je n’ai fait d’équitation, mais avec vous je m’y remettrai volontiers…

Depuis lors Louise prenait des leçons. Elle n’avait aucune peur, montrait d’étonnantes dispositions, et Smith avait écrit à Vienne pour commander une amazone.

Des jours s’écoulèrent, limpides et monotones, où, sous l’azur du ciel, volaient les brises chargées des parfums âcres de la terre.

Le comte faisait avec Smith de longues courses à travers ses domaines. La vigne, le mûrier, le chanvre et le lin s’y cultivaient ; mais c’était du blé que les Kowieski tiraient des revenus considérables. Smith en avait organisé l’expédition par bateau sur le Bug et le Dniester jusqu’à Odessa, le marché européen des céréales.

Et Louise allait se promener avec Fairy, celle-ci désormais rassurée, puisque partout c’étaient des brins d’herbe, du sable, des cailloux et qu’au regard d’un chien la constitution du globe ne diffère pas visiblement d’un lieu à l’autre.

Au delà des plates-bandes, des allées en quinconces coupées çà et là de bassins, où dans l’eau verdie s’ouvraient des lis d’eau, elle atteignait la lisière des forêts. Elles étaient formées de chênes dont les masses puissantes s’étendaient au loin. Plongeant dans ces terres noires, toutes traversées du sel qui filtrait des soubassements glaciaires, ils y puisaient leur force abondante et magnifique. Le printemps, dans ces régions, se pare d’une pompe sauvage. Des touffes d’absinthe et d’immortelles jaunes jaillissaient du sol, et l’odeur des roseaux aromatiques se répandait dans l’air. Au fond, sur la gauche, s’élevaient les premières collines d’Ouratinsk, découpées çà et là en escarpements, et recouvertes de la sombre parure des bois.

Et, dans l’émoi persistant de sa nouvelle destinée, Louise ne reconnaissait plus son âme de jadis. Tout son passé, ses