Page:Revue de Paris, 1908, tome 3.djvu/160

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— Je crains — dit-il — de vous aimer, parce que comme les autres vous fuirez… Et vous me ferez souffrir… D’ailleurs, de toute manière, on souffre : la source de toute souffrance est en nous, et, si notre âme s’aventure au dehors, elle revient meurtrie et déchirée… Vous êtes belle et douce et redoutable, et vous m’effrayez.

Et, posant le front sur les genoux de la jeune fille, il pleura.

Quelques jours plus tard, Louise reçut une réponse à la lettre que, dès son arrivée en Pologne, elle avait écrite à sa tante. Félicité se faisait d’amers reproches, se disait qu’elle aurait dû deviner, empêcher ce coup de tête déplorable. Elle songeait avec angoisse à la façon dont M. Toussard accueillerait cette nouvelle folie. Et même elle demeurait insensible à tout ce qui aurait pu l’émouvoir ou la flatter. L’opulence du comte Kowieski la touchait bien moins que ne la désolait le scandale probable. Et, la chose n’étant pas ébruitée encore, elle suppliait sa nièce de rentrer à Paris.

Mais cette lettre, loin d’ébranler Louise, ne fit que raviver ses peines récentes. Elle n’était pas, comme sa tante, soucieuse de correction, et elle avait appris à ses dépens ce qu’il entre de frivolité cruelle dans ce qu’on appelle l’opinion…

Une après-midi, à sa leçon d’équitation, le piqueur lui dit qu’il la trouvait si bien en selle qu’il ne verrait aucun danger à ce qu’elle s’en allât en promenade.

Le lendemain, avec le comte Kowieski, ils sortirent aux approches du soir, alors que s’apaisait la chaleur de la journée.

En l’amazone expédiée de Vienne, Louise apparaissait, fine et fière silhouette noire sur le ciel clair. Souple et bien campée, elle maniait son cheval avec aisance et sûreté, et son port et son air rappelaient ces écuyères de l’époque romantique qui, dans les tableaux d’Alfred de Dreux, montent des coursiers alezans ou gris pommelé, au col de cygne.

Ils partirent au trot modéré, puis, en rase campagne, prirent le galop. Ils filaient, rapides ; les épis, se courbant, les saluaient au passage.

Le professeur encourageait son élève du geste et du regard. Précédant d’une demi-longueur, il réglait l’allure. Et le comte Kowieski suivait, libre, heureux, comme affranchi tout à coup de ses pensées mornes et de sa tristesse. Ayant atteint les