Page:Revue de Paris, 1908, tome 3.djvu/172

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De plus en plus, il s’accoutumait et prenait goût à elle. Sans effort et sans artifice, elle était de douceur si souple qu’elle se façonnait aux autres insensiblement. D’ailleurs elle était quelque peu changée : plus lente, plus languissante, elle semblait traîner derrière elle les voiles invisibles d’un deuil secret. Et cette tristesse qui l’enveloppait la parait, aux yeux de ce seigneur mélancolique, d’une grâce singulière. Sa coiffure non plus n’était pas la même qu’aux temps heureux où on la comparait à la Psyché de Naples. Magda maintenant disposait à sa fantaisie la chevelure magnifique qu’on lui confiait. Elle était fort habile à en varier la disposition, ayant servi deux ans une cantatrice en renom. Et Louise apparaissait tantôt avec des mèches éparses et fleuries comme Ophélie, tantôt avec des nattes relevées et ornées de perles et de brillants, à la façon de Desdémone, patricienne de Venise…

Le jour où devaient arriver les invités, William Smith se présenta chez madame de Kérouall :

— Je veux vous dire un mot seulement, car je suis très affairé… Ces gens, évitez-les le plus possible. Quoique de haute naissance, ils sont tout le contraire de ce que nous appelons des gentlemen, Et je les considère plutôt comme des sauvages, des idolâtres et des ivrognes… Sans doute, les Anglais boivent aussi quelquefois, mais jamais ils ne perdent le respect de la morale et de la religion… Je vous dis cela, parce que le comte est si distrait qu’il n’y songerait que trop tard…

Vers le soir, les coups de fouet et les grelots des postiers résonnèrent dans les avenues, atteignirent le perron, et bientôt des cris et des jurons retentirent dans le château.

Suivant l’avis de Smith, Louise ne bougea pas de chez elle, et le comte Kowieski, étant allé la voir, n’insista pas pour qu’elle revint sur cette décision. Toute la nuit, les lourdes bottes frappèrent les dalles de marbre, et des salles basses s’élevaient des clameurs, des chants et, parfois, un vacarme de querelles.

Lasse enfin de sa captivité, elle s’en alla, un matin, en promenade avec le piqueur. Au retour, comme elle remontait l’escalier, vêtue de son amazone, trois hommes dressés sur la dernière marche lui barrèrent l’accès du palier. Ils avaient la tenue de chasse, et, secoués de rires énormes, les habits en