Page:Revue de Paris, 1908, tome 3.djvu/183

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Subitement, il devint attentif, tandis que sur la bouche en fleur de la jeune fille flottaient si étrangement ces mots de sagesse désespérée.

Elle dit, essayant de sourire :

— Je vous étonne… J’ai appris beaucoup, là-bas, de l’histoire, de la philosophie… Cela m’a fait connaître la mesure des choses et leur néant.

Il la considérait avec une surprise mêlée d’effroi. Elle n’était donc plus à lui, son jouet complaisant et délicieux ? C’en était donc fait de ce pouvoir, de cette magie qui livrait toutes les femmes, charmées, dociles, vaincues, à sa merci ? Irritée par l’obstacle, sa passion s’éveillait d’une ardeur sourde. Oubliant de quel respect, de quelle tendresse délicate il l’entourait jadis, il voulut la saisir. Elle se leva, toute blanche, droite, se protégea de ses bras étendus.

Il recula, sa violence disparue, noyée dans une immense détresse. Il murmura :

— C’est horrible, la vie est horrible. Je suis un malheureux !

Alors il rappela le temps où il l’avait connue, où elle s’était donnée à lui, dans l’abandon généreux de ses vingt ans. Il avait d’abord lutté, elle devait s’en souvenir, essayant en vain de se dérober à l’attrait redoutable qu’il lui voyait, mais sa passion avait été plus forte, faisant taire ses scrupules, ses remords. Et, en échange des rêves qu’elle mettait en lui, de sa foi, de sa jeunesse radieuse, il avait apporté, lui, son passé si lourd, sa vie entamée, engagée de toutes parts. Et, un jour, en une revanche implacable, l’épreuve était venue qu’il aurait dû prévoir, qu’il n’avait pu conjurer, qui le laissait désarmé, brisé.

Le front dans les mains, courbé, sans courage, il était là, pris au piège cruel qu’il s’était tendu à lui-même.

Louise s’était rapprochée, pour assoupir cette douleur au son doux et caressant et vain de ses paroles.

Lentement, comme sous une brise bienfaisante, Jacques Lenoël sembla renaître. Il découvrit son visage, qui apparut transfiguré, une flamme allumée au fond de ses prunelles.

D’une voix frémissante, il dit :

— Louise, je ne peux vivre sans toi ; fuyons je ne sais où, pourvu que je t’aie !