Page:Revue de Paris, 23e année, Tome 6, Nov-Dec 1916.djvu/464

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je sais… ce sont mes blessures=… j’ai été atteint à la tête et… où donc ?

— À la jambe.

— C’est juste… à la jambe. Est-ce dangereux ?

— Oh ! pas du tout.

— Alors, je pourrai écrire ?…

— Un peu plus tard.

— Un mot seulement… ma mère… et…

Il s’interrompit ; il épiait Diane :

— Vous êtes bien sûre ? Pas dangereux ?

— C’est l’opinion du docteur.

Il se tut. Sa face demeurait trouble, un peu roide et vaguement spectrale :

— Et ce long sommeil, c’est bizarre, — remarqua-t-il. — Pourquoi ? Je devrais être reposé… et je suis las, si las et si faible !

— C’est naturel.

— Naturel ? Peut-être… On dirait pourtant qu’il m’est arrive quelque chose d’extraordinaire.

— Pourquoi ? — fit-elle, avide.

— Je ne sais guère… c’est une impression. Tout semble si loin… si loin ! oh ! prodigieusement !

— Si loin… dans l’espace ?

— Je ne sais pas. On dirait qu’il y a un intervalle sans bornes entre le moment où j’ai été blessé et maintenant…

Pendant une minute, tous deux demeurèrent plongés dans un rêve :

— Je voudrais boire ! — dit-il, enfin.

Elle lui donna à boire. Il but avidement et toutefois sans voracité, puis :

— Sommes-nous encore vainqueurs ?

— Nous sommes vainqueurs.

Il eut un vague et lent sourire :

— J’ai cru que les temps étaient venus et que la France allait mourir. Qu’est-ce qui nous a sauvés ? Quelle force est venue du fond des choses ?… Ou du fond des hommes ?

Sa voix était frêle, comme émiettée, assez grave pourtant et d’un timbre indéfinissable. Elle ressemblait au bruit de l’eau qui tombe très loin, dans un abîme.