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L’ÉNIGME DE GIVREUSE[1]



V


Augustin de Rougeterre se tenait, sous son chêne rouvre, dans son jardin de l’avenue Malakoff. Ce chêne avait vécu là, sous les rois, la Première République et l’Empire, avec d’autres chênes : tous descendaient d’une lignée millénaire, qui formait une forêt dans la Gaule celtique. Maintenant, il était seul. Il avait sept cents ans. Ses creux ressemblaient à des cavernes, son écorce rappelait les vieux rhinocéros, vingt branches, épaisses comme des troncs, produisaient des myriades de folioles tremblotantes.

Le comte Augustin aimait cet arbre. Par les soirs de tempête, il croyait entendre les clameurs des chevaliers et des hommes d’armes partant pour la bataille, ou la voix des antiques cornemuses.

C’était un homme amer, taciturne et pieux. Il avait fait la guerre, la guerre des brousses, des savanes, des marécages et des rocs. Et, en août, ayant voulu reprendre le harnais, il s’était vu trahir par ses infirmités.

Dans le déclin du jour, il rêvait sauvagement. Le Temps et les Débats gisaient à ses pieds. Du vingt août jusqu’à la Marne, il avait failli mourir de haine et de rage. Puis, des fables magnifiques avaient renouvelé sa sève… Ce soir, il était aussi mélan-

  1. Voir la Revue de Paris du 1er décembre 1916.