Page:Revue de Paris, 23e année, Tome 6, Nov-Dec 1916.djvu/764

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de Valentine. Elle les ignorait. Elle n’avait pas une âme simple. Son inexpérience était plus complexe que beaucoup d’expériences. Dans la féerie de l’éclosion, la souffrance est aussi forte que la joie, quelque horreur se mêle à la grâce et des craintes subtiles rendent chaque vœu redoutable. On est un pauvre être soumis à des puissances qu’on sent souvent brutales, et le désir est balancé par des mystères menaçants…

Elle n’en éprouvait pas moins un goût vif pour Pierre : il fut la seule figure d’homme qu’elle admit dans ses songeries.

Quand ils se séparèrent, trop de chances mauvaises barraient l’avenir. À la minute sinistre des adieux, il y eut un grand éclair entre eux mais aucune parole.

Les deux soldats gardaient un souvenir indescriptible de cette minute. À la vue de Valentine, ils eurent un tressaillement de résurrection, et chacun sut que ses impressions étaient identiques à celles de l’autre.

Ils n’en ressentirent aucune jalousie. Quand ils réfléchissaient, ils étaient abstraitement contraints de se considérer comme des rivaux. Sans influer sur leurs sensations, en tant que leurs sensations se rapportaient à eux-mêmes, cette conviction avait une action sur leurs rapports avec Valentine. Ils aimaient en silence, furtivement ; ils ne voyaient aucune issue à leur amour ; ils concevaient qu’il serait odieux de ne pas le cacher.

Cette situation désorientait la jeune fille. C’était souvent une détresse obscure, parfois une sorte de honte qui se ramifiait dans les plus délicates régions de l’âme, un étonnement mêlé de consternation ou une curiosité ardente et triste. La minute palpitante des adieux, le grand éclair jailli de l’inconscient, étaient les plus éclatants souvenirs de Valentine. Ils créaient la fine substance de ces rêves qui croissent à la manière des organismes et dont les racines trempent aux mystères de la vie.


Pendant l’absence de Pierre, l’amour était venu, aussi furtif que les petites stellaires au fond des bois. Toute l’inquiétude, toute la douleur de la guerre s’y mélangeaient, mais aussi les forces inlassables qui construisent et reconstruisent…