Page:Revue de Paris, 24e année, Tome 1, Jan-Fev 1917.djvu/132

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Le visage brillait comme la fleur du nelumbo sur un étang crépusculaire ; la robe tombait en ondes rythmiques et la bouche s’entr’ouvrait, innocente comme une bouche d’enfant.

Alors, l’amour enchaîné se répandit en Pierre comme un printemps. Ce fut une éclosion de tout l’être ; il ne comprenait plus, ou plutôt, il ne percevait plus ses scrupules ; la voix impérieuse des générations dominait la faible voix psychique…


Cette scène eut de profonds échos dans la conscience de Pierre. Elle contribua à accroître sa personnalité. Pour la première fois, il sentit la possibilité d’être jaloux de Philippe. C’était bien incertain encore et intermittent, mais enfin, il y eut des minutes où il songeait à tirer parti de la renonciation de l’autre. Simultanément, son amour pour Valentine subit une métamorphose : il devint plus fébrile et plus soupçonneux.

Jusqu’alors, il avait connu une sécurité assez singulière. Il ne songeait pas à des rivaux « extérieurs ». Le débat se localisait entre lui et Philippe. Peut-être parce qu’il avait ressenti une première apparence de jalousie, il commença de craindre un revirement de Valentine. La séparation, qui naguère était une tristesse sans forme, devint une source de craintes précises et rongeuses. Cela aussi tendit à créer une notion plus aiguë de son nouveau moi…

Dès lors, il attendit avec impatience les visites de la jeune fille ; il assistait plus longuement aux entrevues et il ne parvenait plus à dissimuler son agitation.

Valentine était moins timide. La métamorphose de Pierre rassurait son instinct. Elle trouvait qu’il ressemblait moins à Philippe, et l’espoir de leur découvrir des différences sensibles, rendait du charme à l’existence…


Un jeudi, elle arriva à l’improviste. C’était le jour que Philippe avait choisi pour venir au château. La jeune fille le savait. Attirée par un besoin mal défini de comparer les deux hommes, elle se demandait avec angoisse si la transformation de Pierre n’était pas un mirage créé par son imagination.

Elle trouva madame de Givreuse seule. La comtesse revenait de son orphelinat militaire ; assise sur la terrasse, à l’ombre d’un figuier aux grandes feuilles digitales, elle goûtait