Page:Revue de Paris, 24e année, Tome 1, Jan-Fev 1917.djvu/134

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ils allèrent tous trois au bord d’un petit étang où les saules de Babylone étalaient leurs draperies mélancoliques. Madame de Givreuse et Rougeterre marchaient en avant ; on entendait la voix de cloche du comte qui faisait bondir les grenouilles.

Tous trois aimaient ce coin, où ils avaient jadis passé des minutes délicates :

— Vous souvenez-vous ? — demanda soudain Valentine, et elle observait les jeunes hommes, de l’écureuil qui nous épiait ici… à la fin de l’automne ?

Les trois premiers mots avaient mis Philippe en garde. Sa physionomie ne décela rien, tandis que Pierre répondait :

— Nous ne l’avons plus revu !… Il avait disparu avant la guerre.

Elle eut un petit rire, qui marquait sa joie intérieure ; son regard rencontra celui de Pierre. Elle y lut une ardeur douloureuse et se dit tout bas :

— C’est lui qui souffrirait le plus !…


De ce jour, elle pensa plus souvent à Pierre. Elle exagéra tout ce qui en lui n’était pas pareil en Philippe ; elle recréa une nouvelle image qui se rattachait aux images d’antan. Pourtant, Philippe gardait un pouvoir mystérieux : aux moments où elle croyait en être détachée, il apparaissait comme une évocation et comme un reproche.

Un mois passa, qui refaisait les cœurs et les plantes ; Valentine se retrouva auprès du même étang, avec Pierre et Rougeterre. Un domestique vint apporter une carte de visite ; les jeunes gens se trouvèrent seuls.

Leurs âmes étaient indécises comme leurs paroles, mais Pierre savait qu’il redevenait peu à peu un être normal pour la jeune fille. Elle n’avait plus que cet embarras charmant des êtres timides.

Par intervalles, il se tournait vers elle ; jamais elle n’avait été si « nombreuse ». Toute la grâce des créatures se concentrait en elle. Le jeu des ramures et des nuées, l’allure des oiseaux sylvestres, les corolles argentées des sagittaires, les reflets de l’eau, se retrouvaient transposés et plus enivrants…

Elle se pencha pour cueillir une fleur rose qui poussait dans