Page:Revue de Paris, 29è année, Tome 2, Mar-Avr 1922.djvu/510

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leur passer la camisole de force. Et c’est pourquoi il est si sombre et si plein de soupçons, leur royaume, dont les plus bêtes seulement ne sentent pas la fragilité ; en somme ils sont complètement privés du rire et sont sérieux comme de véritables singes. Il n’y a que des isolés, des tout jeunes qui ne comprennent absolument rien, pour béatifier dans leurs « dancings » et dans les rues obscures, où, par ombres timides, se faufilent les hommes épuisés.

J’attendais que les journaux m’apportassent la nouvelle de quelque changement, mais il n’y a pas de changement ; les fous règnent et les Allemands ramassent tout ce qu’ils jettent par les fenêtres, ou mieux encore ils disent simplement : « Donne ! » Et les autres donnent. Ils donnent Sébastopol, Kars, toute la Russie du Sud presque jusqu’à Orel ; il semble qu’il n’y ait déjà plus rien à donner. Et ils continuent à fusiller avec la même férocité et la même peur (Bogaïevski), à juger dans leurs tribunaux-parodies. Très comique ce jugement du jeune Cheremetief qui « ne veut pas » reconnaître le pouvoir soviétique. « Vous offensez le tribunal ; dans votre voix on entend de l’ironie », dit sombrement le singe-président. De l’ironie ! Combien en effet cela doit être terrible pour des singes ! Et le sauvage verdict : dix-sept ans de travaux forcés. « L’accusateur », tremblant, dans le cerveau duquel a passé fugitivement une lueur, fait son mea-culpa imprimé et déclare que maintenant « toute la vie » il n’accusera plus personne et ne fera que défendre. Le malheureux !

Le 1er mai a été tout de même fêté et les peintres (impudentes canailles) leur ont fait des décors. Il a fait bon à Moscou, le style de la « Maison jaune[1] » a été merveilleusement observé. Les uns avaient résolu de tendre de toiles rouges toutes les icônes du Kremlin et les autres étaient terrifiés et pleins de troubles. Soudain un miracle : le vent déchira l’étoffe devant l’image de Nicolas le Miraculeux et la face apparut ! Naturellement, par milliers, on vint regarder le miracle, hurler et pleurer. Mais un nouveau miracle apparut — de la technique celui-là — une automobile blindée qui tira et dispersa la foule.

  1. C’est ainsi qu’on désigne les maisons de fous en Russie.