Page:Revue de Paris, 29è année, Tome 2, Mar-Avr 1922.djvu/517

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à la Douma deux fois en tout, ce jour-là et le 1er  mars, le jour de la Révolution).

Et voilà, ce même Nicolas, Empereur, Boje Tsaria Khrani etc., a été fusillé sur « décision ». Comment cela s’est-il passé ?… Je tâche tous ces jours-ci de me représenter l’atmosphère, la figure, l’âme, les détails. Et je ne trouve toujours que la queue de hareng. Sans doute, quelque part, dans la cour de derrière, des gueules quelconques l’ont fusillé, et il faisait vide, sombre et ennuyeux, de cet ennui diabolique dont on s’ennuie en enfer. Y avait-il des spectateurs au moins ? Cela facilite à l’acteur son mauvais rôle : il y a au moins un imbécile espoir dans la compassion et une consolation imbécile. Ou bien l’a-t-on amené seul et l’a-t-on achevé seul ? C’est ainsi qu’en 1906, dans les hangars des pompiers, à la lueur d’une lanterne, hâtivement et sourdement, on pendait les révolutionnaires. Mais là-bas, il y avait tout de même un bourreau, et le bourreau c’est la forme : il fallait le trouver, le saouler, l’acheter. Il était impossible, malgré tout, d’envoyer un portier avec un couteau en lui disant : « Saigne-le ». Les hommes sans instruction, les ignorants ne comprennent pas que pour une exécution (et celle d’un empereur particulièrement) il faut un décor quelconque.

Sans doute il était très pâle, ce qui le faisait paraître tout à fait roux ; et jusqu’à la dernière minute il lissait sa moustache. Sa petite raie… son visage de portrait — médaille — monnaie… Où ont porté les balles ? Comment gisait-il ?…

léonide andreieff
(Traduit par j. kessel).