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Page:Revue de Paris, 35è année, Tome 3, Mai-Juin 1928.djvu/361

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ments à notre bouche. Les bâillements nous décrochaient les mâchoires. Et nous nous renversâmes, l’un contre l’autre, les yeux pleins de notre feu rouge entouré de nuit noire. C’est l’image que j’emportai dans mon sommeil, qui n’alla pas jusqu’au matin.

Un coup de vent, pendant la nuit, avait projeté la cendre brûlante contre le tas de ronces de chardons et de broussailles, qui gisait depuis toujours dans le vallon et qui prit feu. Nous nous réveillâmes, hallucinés, devant les flammes qui montaient jusqu’au ciel. La grande chaleur nous obligea à nous réfugier sur les rebords du vallon, où nous somnolâmes une éternité, face à l’incendie, le dos tourné au Baragan noir. — Soudain un galop furieux traversa les ténèbres, fit vibrer le sol et nos entrailles, et nous précipita au fond du vallon, où le feu se mourait lentement.

Mon cœur battait à me couper le souffle. Le visage de Brèche-Dent était cadavérique. Muets, tous deux, c’est en vain que nous nous interrogions des yeux sur la nature de ce galop inexplicable. J’avais peur d’entendre le son même de sa voix. Pendant longtemps, au milieu du silence, chaque craquement des branches que le feu consumait secoua douloureusement nos corps pétrifiés d’épouvante.

À un moment, mon compagnon voulut me dire quelque chose. Il ne put faire que de remuer les lèvres. Puis, quand les dernières flammes furent sombres, nous ne pûmes même plus nous regarder dans les yeux, ce qui augmenta notre terreur. Alors nous nous enlaçâmes bien étroitement.

Il était temps, car de nouveau le galop fantastique trépida dans la nuit, en rasant cette fois le bord de notre fosse.

Cela dura jusqu’à l’aube ; alors, épuisés, les joues inondées de larmes, nous sûmes que toute cette frayeur nous la devions à un jeune étalon, échappé de quelque ferme seigneuriale. Il parcourait le Baragan en long et en large, terrifié par les chardons qui volaient au-dessus de sa tête.

Tranquillisés, nous nous rendormîmes comme deux anges battus, pour ne nous réveiller que sous les aveuglants rayons du soleil que le Crivatz n’arrêtait pas une minute de fouetter. Un bon appétit nous fit dévorer toutes nos provisions. Et la vie réapparut à nos yeux telle qu’elle est.