Page:Revue de Paris, 35è année, Tome 3, Mai-Juin 1928.djvu/366

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puis l’homme se donna une tape sur la cuisse et s’écria, d’une voix qui attira sur lui les regards de tous les consommateurs :

— Je m’attendais plutôt à la mort qu’à te voir ici, Yonel ! Approche-toi !

Yonel (que nous appelions Brèche-Dent parce qu’il l’était) s’approcha timidement, baisa la main droite de l’homme et se mit à pleurer dessus, sourdement.

— Ne pleure pas ! — dit l’autre. — Voici ma femme, Lina. C’est mon frère, imagine-toi ! — fit-il à sa compagne.

Yonel baisa aussi la main de la femme, qui lui prit la taille, le cajola et fit cesser ses larmes.

— Qui sont tes compagnons ? — lui demanda son frère.

— Ma foi, — répondit le frânar, — quant à moi, je ne suis plus rien, maintenant qu’il s’est trouvé des parents, mais je puis boire un verre à votre santé !

Nous prîmes place à table. Peu après, notre aventure était connue par tout le monde.

— Histoire de chardons ! — s’écria le frère de Yonel, la mine assombrie. — Ce n’est pas la faute des enfants, ni celle des parents ! Le pays tout entier, de Dorohoï à Vârciorova, n’est qu’un Baragan, sur lequel se promènent, le fouet à la main, des chardons autrement vénéneux. Ce sont ces chardons-là qu’il faudrait extirper, si nous voulons ne plus voir, entre autres malheurs, les enfants quitter la maison et s’en aller dans le monde !

— Tu parles trop fort, Costaké ! — lui chuchota son épouse, jetant des regards inquiets autour d’elle. — Ne crois-tu pas que c’est le moment de partir ? Les chevaux se sont assez reposés.

Costaké se leva ; c’était un jeune homme plein de santé, robuste, très brun. Ses yeux étincelaient de colère :

— Allons !

Puis, posant une main sur ma tête :

— Tu viens donc avec nous en Vlachka ! — me dit-il tendrement. — Là-bas aussi les chardons prennent la meilleure place au soleil, mais au moins je t’apprendrai, ainsi qu’à Yonel, le métier de carrossier. Vous construirez, un jour, des voitures pour les paysans et irez les vendre dans les