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Page:Revue de Paris, 35è année, Tome 3, Mai-Juin 1928.djvu/368

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— D’où êtes-vous ?

— De Yalomitsa.

— Et vous resterez avec nous ?

— Oui ; nous apprendrons à construire des voitures pour les paysans et irons les vendre dans les foires, comme Costaké.

— Ce ne sera pas demain ! — railla un apprenti.

Je regardais le beau feu de la forge, s’assoupissant lentement, pendant que nous entrions, pêle-mêle, suivis par les chiens, dans une grande tinda qui pouvait aisément contenir une douzaine de personnes, et d’où les chiens furent promptement chassés par la grand’mère, qui se fâcha de leur audace. La « grand’mère » dorlotait un garçonnet de trois ans, le seul enfant du jeune couple ; au reste, nullement vieille, l’épouse du père Toma semblait être la directrice de toute la maison, car c’est à elle que l’on s’adressait pour toute chose. Nous la trouvâmes accroupie devant l’âtre, le petit sur ses genoux et lui racontant un de nos interminables basmes, qu’elle modifiait selon sa fantaisie :

« … Et le méchant sméou cria de nouveau :

» — Un tison et un charbon, veux-tu te taire, garçon ?

» Alors Fet-Frumos disait :

— » Un tison et un charbon, parle toujours, garçon !

L’enfant interrompait :

— Mais pourquoi Fet-Frumos ne tuait pas le sméoul ?

— Parce qu’alors le basme serait fini et grand’mère n’aurait plus rien à raconter à Patroutz ! — lui répondit son père, qui vient l’embrasser et lui offrir un beau pantin, acheté à la foire.

Puis, se penchant vers l’oreille de sa belle-mère :

— Comment va Toudoritza ?

— La même chose : pleurs et pleurs !… Une jolie fille comme elle ! On dirait qu’il n’y a plus d’autres garçons sur la terre !

— Cela ne se commande pas, tu le sais bien.

Je compris qu’il y avait dans la maison « une jolie fille », qui n’était pas sortie à notre rencontre, et qu’elle pleurait pour avoir été délaissée. J’appris toute l’histoire aussitôt après, car, allant à la forge pour nous y familiariser, les apprentis nous la racontèrent en détail. C’est Brèche-Dent qui osa les questionner, malicieusement :