rations d’automne, abondantes autrefois, allèrent de pair. Aussi, on se tournait un peu les pouces, en bricolant autour du bétail, en bavardant et en faisant des floricele[1].
Père Toma et ses deux gendres, quoique sobres, allaient quand même « tuer le temps » au cabaret du père Stoïan, qui était contigu à la forge. Les femmes restaient chez elles, toujours occupées à quelque chose. Et nous, les apprentis, nous étions partout, mêlant un rien de travail à beaucoup de flânerie. Le plus souvent je me plaisais à être seul, car « un étranger est toujours un étranger », dans une commune comme dans une famille. Lorsqu’on se fâchait, on m’appelait « lièvre de neuf frontières ». On répétait aussi, à qui la demandait et à qui ne la demandait pas, « l’histoire avec les chardons » :
— Ce sont les chardons qui nous l’ont amené pechkesh[2] !
Ce n’était pas dit méchamment, mais cela me faisait mal quand même. J’étais un garçon qu’on avait « ramassé sur le chemin », par pitié. Ce n’est pas plaisant de se l’entendre dire, lorsqu’on a quinze ans et pas mal d’amertume déjà avalée. Cela se tasse dans le cœur, qui se gonfle parfois et vous fait pleurer, en songeant à la petite chaumière de Laténi, à la mère, morte, et au père, perdu dans le monde.
Brèche-Dent, naturellement, était chez lui, si bien qu’il m’oublia, s’éloigna de moi, petit à petit. En revanche, je gagnai le cœur de Toudoritza, parce qu’elle aussi était seule dans son malheur. Je devins le confident de ses plus chaudes larmes. Et elle en versait. C’est que Tanasse, contrairement à un reste d’espoir qu’elle nourrissait, venait de se marier avec Stana.
Noce « honteuse », disait le village, en dépit de la présence de « Monsieur l’Administrateur », témoin, malgré lui, des nouveaux mariés. À cette noce on avait pu compter sur les doigts les paysans sympathiques au boyard, les « fruntasii satului », les seuls qui ne manquaient de rien. Ils étaient une douzaine. Au moment où la noce sortait de l’église, quelques voix dans la foule rappelèrent à Stana ses relations