Page:Revue de Paris, 35è année, Tome 3, Mai-Juin 1928.djvu/629

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sur l’assemblée. Les villageois l’approuvèrent à grands cris, puis il voulurent savoir qui il était.

— Je suis de Bucarest, — dit-il, — travaillant avec les mains, comme vous, mais j’ai appris à connaître mes ennemis, qui ne sont ni Dieu, ni ses foudres. Ce sont les propriétaires des villages et des villes, qui nous réduisent à la misère, même si les années sont abondantes. Pour nous, elles ne le sont jamais.

Il sortit un paquet de brochures et les distribua :

— Ici, — ajouta-t-il, — vous lirez des choses que tout citoyen doit savoir : c’est la Constitution du pays, ou « la mère de toutes nos lois. » Il est écrit que vous avez le droit de vous réunir, d’écrire et de parler, et aussi qu’on ne peut pas tenir quelqu’un arrêté plus de vingt-quatre heures, ni violer son domicile, sans un mandat du juge d’instruction. Ce sont vos droits, qu’il faut connaître et faire respecter. Puis, il faut conquérir d’autres droits, le suffrage universel d’abord. Cinquante paysans ayant, aux élections, le droit à une voix que le pope a tout seul, c’est une ignoble moquerie. Enfin, vous devez exiger le retour des terres dont on vous a dépouillés…

— Juste, juste ! — s’écrièrent les cojans. — Nous voulons nos terres !

— Qui est celui-là, qui distribue des terres ? — cria alors une voix aigre.

C’était le gendarme.

— Je ne distribue que la Constitution, monsieur ! — répondit le citadin, courageusement. — Les terres, les paysans doivent les prendre}

— Nous allons voir qui va prendre quelque chose tout à l’heure ! — dit le gendarme en l’emmenant.

Avec le premier flocon de neige qui vint se coller sur la vitre, vint aussi le calme de Toudoritza. Nous étions ensemble pour nous apercevoir de l’un et l’autre, un après-midi qu’elle brodait près de la fenêtre et que je lui démêlais un tas multicolore de fils de laine.