Page:Revue de Paris, 40è année, Tome III, Mai-Juin 1933.djvu/839

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poésie de combat répond à un vieux courant de notre littérature : combat religieux au XVIe siècle avec Ronsard et d’Aubigné, combat littéraire, corporatif (j’entends la corporation des gens de lettres) et social avec Régnier, Boileau et leurs petits successeurs du XVIIIe siècle ; combat politique quand la Révolution lui ouvre l’arène. La poésie de combat prend alors deux formes, la grande et la petite : la grande, qui est la lyrique, celle de Chénier et de Barbier ; la petite, qui est la chanson, avec Béranger.

Mais, plus largement encore, la littérature de combat, c’est le poète dans la cité. Et le poète, avec le romantisme, s’y installa puissamment. Rien de civique n’est étranger à Lamartine et à Hugo. Tous deux aspirent à la fonction de chefs, de guides politiques. Là sont les parties mâles de leur poésie. Rien n’est au-dessus des grandes odes politiques de l’un, nationales de l’autre. Poésie de combat, c’est-à-dire poésie tantôt d’attaque, comme la Curée, tantôt de défense, comme À Némésis. Mais toujours la poésie passe comme un air bruissant et pur dans les poumons respirants de l’histoire. Le 2 décembre fait de Victor Hugo le grand poète de combat de la France, et probablement de tous les temps.

Ces poumons vont par deux, le poumon est deux : lyrique et oratoire. Lamartine est grand orateur du même fonds dont il est grand poète. Hugo échoua à la tribune, qu’il confondait avec un théâtre et pour laquelle il composait des tirades. Mais de toutes façons le romantisme est une chose éloquente, le romantisme a lié partie avec l’oratoire. Les Châtiments figurent un sommet de l’éloquence politique et poétique aussi saisissant, aussi unique que le cinquième acte de Rodogune, sommet du tragique extérieur, ou Phèdre, sommet du tragique intérieur. Et cette éloquence participe à la chair même de la poésie romantique, comme le tragique à la chair de la poésie classique. Quand l’Empire tombe, que Victor Hugo rentre, le lyrisme oratoire ne va-t-il pas retrouver ses forces, ses poumons, son objet, sur ce sol bouleversé, incendié, mutilé ?

L’aliment de la poésie de combat, c’est la colère. Et les colères sont déchaînées. Colères nationales d’abord. Les traités de 1815 avaient indigné trois générations, discrédité trois gouvernements. L’Empire avait rencontré la popularité